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guste. Le marquis de Steyne (lord du cabinet à poudre) et plusieurs autres grands officiers de l’état étaient debout derrière le fauteuil où il était assis, — où il était assis, sa face rouge toute fleurie, sa riche chevelure frisée, son noble ventre tendu en avant. — Comme on criait! comme on applaudissait! comme on agitait les mouchoirs! Les dames pleuraient, les mères embrassaient leurs enfans. Quelques-unes s’évanouirent. Oui, nous l’avons vu. La fortune ne peut plus maintenant nous priver de cette joie. D’autres ont vu Napoléon. Que ce soit notre juste orgueil devant notre postérité d’avoir contemplé George le Bon, George le Magnifique, George le Grand. »

Cher prince ! la vertu émanée de son trône héroïque se répandait dans le cœur de tous ses courtisans. Qui jamais offrit un plus bel exemple que le marquis de Steyne? Ce seigneur, roi chez lui, a voulu prouver qu’il l’était. Il force sa femme à s’asseoir à table à côté de filles perdues, ses maîtresses. En vrai prince, il a pour ennemi principal son fils aîné, héritier présomptif du marquisat, qu’il laisse jeûner et qu’il engage à faire des dettes. En ce moment, il courtise une charmante personne, mistress Rebecca Crawley, qu’il aime pour son hypocrisie, son sang-froid et son insensibilité sans égales. Le marquis, à force d’avilir et de tyranniser ceux qui l’entourent, a fini par haïr et mépriser l’homme, il n’a plus de goût que pour les scélérats parfaits. Celle-ci le réveille, un jour même elle le transporte d’enthousiasme. Elle jouait Clytemnestre dans une charade, et son mari jouait Agamemnon; elle court au lit les yeux enflammés, l’épée prête, d’un tel air que chacun frémit. « Brava! brava! crie le vieux Steyne d’une voix stridente. Par Dieu, elle le ferait! » On voit qu’il a le sentiment du devoir conjugal. Sa conversation est d’une franchise touchante. « Je ne peux pas renvoyer ma pauvre chère Briggs, lui dit Rebecca. — Vous lui devez ses gages ? — Bien plus; je l’ai ruinée. — Ruinée! Alors pourquoi ne la chassez-vous pas? » Du reste, gentleman accompli et d’une douceur engageante, il traite ses femmes en pacha, et ses paroles valent des coups de verge. Je recommande au lecteur la scène domestique où il donne l’ordre d’inviter mistress Rebecca Crawley. Lady Gaunt, sa belle-fille, dit qu’elle n’assistera pas au dîner, et restera chez elle. « Très bien! vous y trouverez les recors; cela me dispensera de prêter à vos parens et de voir vos airs tragiques. Qui êtes-vous pour donner des ordres ici? Vous n’avez pas d’argent; vous n’avez pas de cervelle. Vous étiez ici pour avoir des enfans, et vous n’en avez pas. Gaunt est las de vous. Votre belle-sœur est la seule de la famille qui ne vous souhaite point morte, parce que Gaunt se remarierait si vous l’étiez. Vous, prude! De grâce, madame, vous raconterai-je quelques petites anecdotes sur mylady Bareacres, votre maman? » Le reste est du même