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qu’elle est bonne, qu’elle est noble, qu’elle est belle, qu’elle est parfaite! » Le premier volume roule tout entier sur ce contraste; il semble que Thackeray dise à ses lecteurs : Mes chers confrères en humanité, nous sommes des coquins quarante-neuf jours sur cinquante: le cinquantième, si nous échappons à l’orgueil, à la vanité, à la méchanceté, à l’égoïsme, c’est que nous tombons en fièvre chaude; notre folie fait notre dévouement.

Pourtant, à moins d’être Swift, il faut bien aimer quelque chose; on ne peut pas toujours blesser et détruire, et le cœur, lassé de mépris et de haine, a besoin de se reposer dans l’éloge et l’attendrissement. D’un autre côté, blâmer un défaut, c’est louer la qualité contraire, et l’on ne peut immoler une victime sans bâtir un autel; ce sont les circonstances qui désignent l’une, ce sont les circonstances qui élèvent l’autre, et le moraliste qui combat le vice dominant de son pays et de son siècle prêche la vertu contraire au vice de son siècle et de son pays. Dans une société aristocratique et marchande, ce vice est l’égoïsme et l’orgueil ; Thackeray exaltera donc la douceur et la tendresse. Que l’amour et la bonté soient aveugles, instinctifs, déraisonnables, ridicules, peu lui importe; tels qu’ils sont, il les adore, et il n’y a pas de plus singulier contraste que celui de ses héros et de son admiration. Il fait des sottes et s’agenouille devant elles; l’artiste en lui contredit le commentateur; le premier est ironique, le second est louangeur; le premier met en scène les niaiseries de l’amour, le second en fait le panégyrique ; le haut de la page est une satire en action, le bas de la page est un dithyrambe en tirades. Les complimens qu’il prodigue à Amelia Sedley, à Hélène Pendennis, à Laura, sont infinis; jamais auteur n’a fait plus visiblement et plus obstinément la cour à ses femmes : il leur immole les hommes, non pas une fois, mais cent. « Très vraisemblablement les pélicans aiment à saigner sous le bec égoïste de leurs petits. Il est certain que c’est le goût des femmes. Il doit y avoir dans la douleur du sacrifice une sorte de plaisir que les hommes ne comprennent pas... Ne méprisons pas ces instincts parce que nous ne pouvons les sentir. Les femmes ont été faites pour notre bien-être et notre agrément, messieurs, — comme toute la troupe des animaux inférieurs. — Que ce soit un mari fainéant, un fils dissipateur, un bien-aimé garnement de frère, comme leurs cœurs sont prêts à répandre sur lui leurs trésors de tendresse! Et comme nous sommes prêts, de notre part, à leur fournir abondamment cette sorte de jouissance! A peine y a-t-il un de mes lecteurs qui n’ait administré du plaisir sous cette forme à ses femmes, et ne les ait régalées du contentement de lui pardonner! » Lorsqu’il entre dans la chambre d’une bonne mère ou d’une jeune fille honnête, il baisse les yeux comme à la porte d’un