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un étalage d’éloquence et d’indignation. Faites-leur assez d’honneur pour supposer qu’ils vous entendent à demi-mot, qu’un sourire indiqué vaut pour eux un syllogisme établi, qu’une fine allusion entrevue au vol les touche mieux que la lourde invasion d’une grosse satire géométrique. — Songez enfin (ceci entre nous) qu’en politique comme en religion, depuis mille ans, ils sont très gouvernés, trop gouvernés, que lorsqu’on est gêné, on a envie de ne plus l’être, qu’un habit trop étroit craque aux coudes et ailleurs. Volontiers ils sont frondeurs, volontiers ils entendent insinuer les choses défendues, et souvent par abus de logique, par entraînement, par vivacité, par mauvaise humeur, ils frappent la société à travers le gouvernement, à travers la religion, la morale. Ce sont des écoliers tenus trop longtemps sous la férule; ils cassent les vitres en ouvrant les portes. Je n’ose pas vous exhorter à leur plaire; je remarque seulement que pour leur plaire un grain d’humeur séditieuse ne nuit pas.

Je franchis sept lieues de mer, et me voici dans une grande salle sévère, garnie de bancs multipliés, ornée de becs de gaz, balayée, régulière, club de controverses ou temple de sermons. Il y a là cinq cents longues figures, tristes, raides[1], et au premier coup d’œil il est clair qu’elles n’y sont point pour s’amuser. Dans ce pays, un tempérament plus grossier, surchargé d’une nourriture plus lourde et plus forte, a ôté aux impressions leur mobilité rapide, et la pensée, moins facile et moins prompte, a perdu avec sa vivacité sa gaieté. Si vous raillez devant eux, songez que vous parlez à des hommes attentifs, concentrés, capables de sensations durables et profondes, incapables d’émotions changeantes et soudaines. Ces visages immobiles et contractés veulent garder la même attitude : ils répugnent aux sourires fugitifs et demi-formés, ils ne savent se détendre, et leur rire est une convulsion aussi raide que leur gravité. N’effleurez pas, appuyez; ne glissez pas, enfoncez; ne jouez pas, frappez; comptez que vous devez remuer violemment des passions violentes, et qu’il faut des secousses pour mettre ces nerfs en action. — Comptez encore que vos gens sont des esprits pratiques, amateurs de l’utile, qu’ils viennent ici pour être instruits, que vous leur devez des vérités solides, que leur bon sens un peu étroit ne s’accommode point d’improvisations aventureuses, ni d’indications hasardées, qu’ils exigent des réfutations développées et des explications complètes, et qu’ils n’ont payé leur billet d’entrée que pour écouter des conseils applicables et de la satire prouvée. Leur tempérament vous

  1. « Their usual english expression of intense gloom, and subdued agony. » (Thackeray, the Book of Snobs.)