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caire, et s’étale dans sa gloire nouvelle de propriétaire terrien. Chacun de ces détails est un sarcasme dissimulé ou visible qui dit au lecteur : Mon bon ami, restez Gros-Jean comme vous l’êtes, et, pour l’amour de votre fils et de vous-même, gardez-vous de trancher du grand seigneur!

Le vieux Pendennis meurt. Son fils, noble héritier du domaine, « grand-duc de Pendennis, sultan de Fairoaks, » commence à régner sur sa mère, sur sa cousine et sur les domestiques. Il envoie des poésies lamentables aux journaux du comté, commence un poème épique, une tragédie où meurent seize personnes, une histoire foudroyante des jésuites, et défend en loyal tory l’église et le roi. Il soupire après l’idéal, appelle une inconnue, et tombe amoureux de l’actrice en question, femme de trente-deux ans, perroquet de théâtre, ignorante et bête à plaisir. Jeunes gens, mes chers amis, vous êtes tous affectés, prétentieux, dupes de vous-mêmes et des autres. Attendez pour juger le monde que vous ayez vu le monde, et ne vous croyez pas maîtres quand vous êtes écoliers.

L’instruction continue et dure autant que la vie d’Arthur. Comme Lesage dans Gil-Blas, l’auteur de Pendennis peint un jeune homme ayant quelque talent, doué de sentimens bons, même généreux, qui veut parvenir et qui s’accommode aux maximes du monde; mais Lesage n’a voulu que nous divertir, Thackeray d’un bout à l’autre travaille à nous corriger.

Cette intention devient plus visible encore, si l’on examine en détail l’un de ses dialogues et l’une de ses peintures. Vous n’y apercevez point la verve indifférente attachée à copier la nature, mais la réflexion attentive occupée à transformer en satire les objets, les paroles et les événemens. Tous les mots du personnage sont choisis et pesés pour être odieux ou ridicules. Il s’accuse lui-même, il prend soin d’étaler son vice, et sous sa voix on entend la voix de l’écrivain qui le juge, qui le démasque et qui le punit. Miss Crawley, vieille femme riche, tombe malade[1]. Mistress Bute, sa parente, accourt pour la sauver et sauver l’héritage. Il s’agit de faire exclure du testament un neveu, le capitaine Rawdon, ancien favori, légataire présumé de la vieille fille. Ce Rawdon est un troupier stupide, pilier d’estaminet, joueur trop adroit, duelliste et coureur de filles. Jugez de la belle occasion pour mistress Bute, respectable mère de famille, digne épouse d’un ecclésiastique, habituée à composer les sermons de son mari! Par pure vertu, elle hait le capitaine Rawdon, et ne souffrira pas qu’un si bon argent tombe en de si mauvaises mains. D’ailleurs

  1. Voyez Vanity Fair. La Revue a donné une reproduction de ce roman dans ses livraisons du 15 février et du 1er mars 1849.