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pour les principaux acteurs de ce drame, la mort moissonne largement parmi eux ; une nouvelle génération occupe la scène, qui ne comprend presque plus le langage du passé, et qui ne sera bientôt plus comprise elle-même. Il n’est bon de réveiller ces souvenirs, déjà vieux, que parce qu’ils ne sont pas sans quelques enseignemens pour l’avenir, quel qu’il soit. Ce n’est pas le bon gouvernement qui nous a manqué, ce n’est pas davantage l’élasticité des institutions, c’est l’habitude et le bon emploi de la liberté politique. Le 8 avril 1835, sir Robert Peel, venant expliquer devant la chambre des communes pourquoi le ministère avait cru devoir donner sa démission, ajouta : Nous n’avons pris cette résolution, je n’hésite pas à le dire, qu’avec une extrême répugnance. Supposez un pareil mot prononcé dans une assemblée française, et vous verrez quel immense éclat de rire fera retentir les voûtes, quelle pluie de quolibets tombera le lendemain sur le malencontreux orateur. Cette déclaration fut cependant reçue comme elle était faite, gravement et simplement, par la majorité qui avait rendu nécessaire la retraite ministérielle, et qui comprenait très bien que le ministère tînt à ses opinions, comme elle tenait aux siennes. Voilà la liberté.

Ceux qui croient qu’il n’y a d’autre moyen d’être libre que de tout jeter par les fenêtres seront fort surpris s’ils lisent (mais ils ne liront pas) les détails que donne M. Guizot sur les rapports de la couronne avec les ministres en Angleterre. On y voit comment le respect le plus profond, le loyalisme le plus absolu, peuvent se concilier avec la plus inébranlable fermeté et l’indépendance la plus fière. J’aime surtout le portrait piquant qu’il fait de George IV, ce grand comédien qui prend plaisir à cacher sous des démonstrations emphatiques son insouciance ou sa faiblesse, tandis que ses ministres, aussi peu émus de ses larmes que de ses colères et se fiant peu à ses paroles, lui imposent humblement ce qu’ils ont résolu ; il y a là toute une scène d’un excellent comique en même temps que d’un intérêt sérieux et profond. Je n’ai pu la lire sans me souvenir d’une autre scène, d’un genre tout opposé, quoique identique quant au sens, dont j’ai été témoin. C’était au mois de février 1848, peu de jours avant la révolution. Un membre de l’opposition venait de prononcer à la chambre des députés des paroles injurieuses pour les princes fils du roi ; M. Guizot lui répondit sur-le-champ, avec une verve et une hauteur de raison véritablement sans égales. Jamais peut-être pareille explosion d’éloquence n’avait éclaté à cette tribune que tant de talens ont illustrée, jamais la vraie doctrine constitutionnelle n’avait été exprimée avec cette vigueur ; c’est, je crois, la dernière fois que M. Guizot a parlé à la tribune, il y a dignement fini, et son langage méritait d’autant plus l’admiration, que