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pour vaincre la chambre des lords, appuyée sur une minorité éloquente et tenace dans l’autre chambre. Sans l’élan donné aux opinions démocratiques par notre révolution de juillet, le reform bill, si juste qu’il fût, ne l’aurait pas emporté.

À mon avis, le ministère français avait raison de refuser ce qu’on appelait ici la réforme, non à cause de la chose en elle-même, tout à fait insignifiante, mais à cause de ce qu’elle cachait. Admettons cependant qu’il ait eu tort, comme sir Robert Peel avait certainement tort en repoussant l’abolition des bourgs pourris ; il était encore plus que sir Robert en droit de résister, puisqu’il avait avec lui le roi et la majorité des deux chambres, c’est-à-dire l’orthodoxie constitutionnelle. L’analogie tourne donc contre ceux qui l’invoquent. La vérité est qu’il ne faut pas comparer un pays véritablement constitutionnel, où tout se passe avec bonne foi, dans les limites de l’ordre établi, avec un pays révolutionnaire, où les institutions libres n’ont jamais été prises au sérieux, et où l’on n’invoque le nom de la loi qu’autant qu’on peut s’en faire une arme commode pour satisfaire ses passions ou ses fantaisies. S’il n’avait été question que de la réforme, on aurait bien pu attendre quelques mois. Il était évident pour tous que l’opposition gagnait du terrain dans la chambre des députés ; quelques-uns de ces symptômes avant-coureurs de la dissolution des majorités s’étaient produits, des amendemens au projet d’adresse indiquant des intentions de séparation étaient sortis du parti conservateur, le ministère commençait à se diviser, une partie de la famille royale, à quoi bon le taire aujourd’hui ? inclinait vers la réforme, M. Guizot lui-même l’avait en quelque sorte annoncée à la tribune, le roi vieux et fatigué n’opposait plus qu’une résistance facile à vaincre. Il ne fallait qu’un peu de patience, on n’en eut pas. Les dissensions de la majorité, l’affaiblissement du roi, les tiraillemens intérieurs du ministère, tout ce qui annonçait la victoire prochaine de l’opposition, au lieu de désarmer les agresseurs, n’eut d’autre effet que de les encourager à pousser leur sape plus avant, et ils n’eurent point de trêve qu’ils n’eussent jeté la France dans le chaos.

Tout ceci n’est depuis longtemps que de l’histoire ; j’en parle pour mon compte avec le désintéressement et le sang-froid de l’historien. Nous ne reverrons plus ce que nous avons vu, la roue tourne, le monde change, et, pour emprunter le beau langage de M. Guizot lui-même, « relancés de nouveau sur cet océan d’où l’on ne voit plus de terres, nul ne peut dire aujourd’hui, à l’abri de notre nouvelle relâche, vers quels abîmes ou vers quels ports nous poussera encore ce grand vent de 1789, tant de fois assoupi et jamais épuisé. » La monarchie constitutionnelle s’enfonce peu à peu dans l’oubli ; l’âge arrive