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quand minuit sonna, le président annonça que « le bon temps était venu. » Puis cette grande assemblée, qui venait de vaincre, après dix ans d’efforts, l’aristocratie des propriétaires du sol, se sépara paisiblement, contente et fière de son succès, et n’en demandant pas d’autre.

Le « bon temps, » comme on disait, était-il en effet venu ? Oui sans doute, si l’on s’arrête à ce qui est actuellement possible ; non, si l’on se jette dans les rêves. Au moment où ces paroles solennelles étaient prononcées, un huitième de la population irlandaise mourait de faim, et en Angleterre la détresse sévissait dans plus d’un district populeux. Même aujourd’hui, après sept ans de free trade, tous les maux sont loin d’être guéris, le terrible problème de la misère n’est pas résolu : tant qu’il dure, on n’a pas le droit de se dire satisfait. Néanmoins un progrès immense a été obtenu, une grande injustice abolie ; aucun monopole artificiel n’élèvera désormais le prix de la viande et du pain, et l’Angleterre achète tous les ans à l’étranger, afin de combler l’insuffisance de sa propre production, pour 500 millions de vivres, qu’elle paie en produits manufacturés, combinaison doublement féconde pour ses classes ouvrières. De plus, on sait, à n’en pas douter, que si quelque jour un moyen aussi sûr de venir en aide à ceux qui souffrent se découvre, on est en mesure de l’imposer par les mêmes voies, quelles que soient les oppositions. Cela suffit : on se garde bien de compromettre par des exigences chimériques ces résultats positifs. C’est donc avec un admirable bon sens que la ligue, en se séparant, a voté à son chef, M. Cobden, une récompense nationale de 75,000 livres sterling, ou 1,875,000 fr., et que plus tard, après la mort de Peel, une souscription à deux sous a été ouverte pour lui ériger un monument au nom des pauvres.

J’ai souvent entendu reprocher au gouvernement de 1830 de n’avoir fait aucune réforme économique analogue. L’aurait-il pu ? À plusieurs reprises, notamment lorsqu’il a été question de l’union douanière avec la Belgique, il a été arrêté par une coalition d’intérêts contraires, et si cette grande mesure n’a pas été prise, ce n’est pas sa faute. D’immenses progrès matériels ont été accomplis par lui malgré une opposition acharnée qui défigurait ses actes, calomniait ses intentions, contrariait par tous les moyens l’effet de ses meilleures lois, et dont la plus grande victoire est d’avoir retardé pendant près de dix ans l’exécution des chemins de fer. Tout se discutait avec fureur dans ce temps-là et s’enlevait en quelque sorte pied à pied ; chaque matin, il fallait recommencer le combat qu’on avait gagné la veille. Si les ministres s’étaient engagés plus avant pour la liberté commerciale, ils se seraient fait battre infailliblement. La haine de l’Angleterre, ce grand cheval de bataille de