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partie de ses anciens adversaires ; 106 voix seulement le suivent parmi les tories, mais ces 106 voix, c’est l’appoint nécessaire. Le grand parti qui a dirigé si longtemps et si glorieusement les destinées du pays est dissous des propres mains de son chef, mais l’Angleterre est sauvée.

Cette conduite peut être sévèrement jugée dans les deux sens opposés. Les uns accusent sir Robert Peel d’avoir trop résisté, en présence de la famine imminente, par orgueil et égoïsme de caste ; les autres le blâment d’avoir abandonné et trahi les siens, ceux qui l’avaient fait ce qu’il était, et d’avoir par-là changé les bases du gouvernement britannique. Le récit de M. Guizot rétablit la vérité ; un grand combat s’est livré longtemps dans l’âme de Peel, il a lutté tant qu’il a pu, et ne s’est décidé que devant l’évidence. Dans les deux cas, il a fait son devoir ; c’est son parti qui a eu tort de ne pas le suivre tout entier jusqu’au bout. Quand un tel homme prend une telle résolution, il a droit à être écouté. Ceux de ses anciens amis qui l’ont quitté en l’insultant se sont montrés d’autant plus aveugles que, comme le fait remarquer M. Guizot, ils auraient été hors d’état, si on les avait mis en possession du pouvoir, de refuser ce qu’il accordait. « C’est l’une des fautes les plus communes de l’opposition, dit-il non sans quelque retour sur d’autres que des Anglais, de réclamer avec passion ce qu’elle ne tenterait pas d’accomplir. » Les animosités des vieux tories saisirent avec avidité la première occasion de se satisfaire, et deux mois à peine après le succès du bill sur les corn-laws, Peel tombait abattu par eux. Qu’y ont-ils gagné ?

Whigs et radicaux se sont montrés plus habiles. Bien qu’ils pussent revendiquer l’honneur de la réforme, ils se sont plu à en faire hommage à sir Robert, par esprit de calcul autant que par justice. Quand le premier ministre vint présenter le bill à la chambre des communes, au lieu des témoignages d’une joie insolente de la part des vainqueurs, il rencontra les marques d’une respectueuse déférence. « L’honorable baronet, dit un des chefs de la ligue, M. Bright, vient de prononcer un des plus beaux discours qu’on ait entendus dans cette enceinte. » — « La gloire de cette mesure, dit lord John Russell, revient au ministre qui l’a proposée. » Noble et sérieux langage, digne d’un peuple qui sait être libre ! Je ne connais rien de plus frappant, sous ce rapport, que la fin de la ligue. En concédant la libre introduction, Peel avait cru devoir y mettre quelques restrictions temporaires qui avaient été acceptées. Votée en principe en avril 1846, la liberté ne devait être complète que le 31 janvier 1849. Tout le monde attendit patiemment jusque-là malgré la souffrance universelle causée par la disette. La veille au soir, deux mille per- sonnes se réunirent en banquet à Manchester, berceau de la ligue, et