Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ble, dans ce que tu me dis ; je savais bien aussi que pour les femmes l’époux est la voie suprême ! » Et elle ajoute que les grandes qualités de son époux lui rendent plus facile qu’à aucune autre l’accomplissement de ces devoirs sacrés. Sous les paroles de Sitâ se cache sans nul doute un avertissement discret pour les maris ; le poète semble leur dire : Soyez sages, vertueux, pieux comme Râma, et vous serez plus assurés encore d’avoir des épouses fidèles comme Sitâ !

Nous sommes donc en pleine morale. On dirait que le poète a oublié la forêt dans laquelle son héros s’avance à la manière d’un caballero andante ; mais voici que le fantastique reparaît après le sérieux discours de la vieille brahmanie, et cette femme austère, qui parlait comme un précepteur spirituel, prend tout à coup les traits d’une bohémienne habile dans l’art de préparer les philtres. Au moment du départ, elle donne en présent à Sitâ un onguent, — je cherche vainement un mot plus poétique, — un onguent qui éternisera la beauté de la jeune femme, et la rendra chaque jour plus gracieuse et plus agréable à son époux. Sitâ accepte avec reconnaissance la précieuse recette ; Râma n’a-t-il pas reçu de son côté le don de l’éternelle jeunesse et de l’inaltérable énergie? Entre la vieille brahmanie et la belle Sitâ s’établit aussitôt une grande intimité. Elles causent beaucoup, restant femmes par ce côté, précisément au moment où le poète cherchait à les élever au-dessus de la nature humaine. Depuis longtemps, Sitâ ne trouvait à qui parler dans la solitude de& bois; aussi se dédommage-t-elle en racontant à Anasoûyâ sa naissance extraordinaire[1], les circonstances de son mariage et ses premiers pas sur le chemin de l’exil. Peu à peu on se sent descendre des hautes régions de la fiction dans un milieu plus réel, plus riant aussi, où se meuvent, à travers une douce obscurité, les solitaires pieux, surpris dans l’exercice de leurs pratiques habituelles. Sitâ a fini de raconter; la vieille brahmanie l’embrasse en lui jetant ses deux bras autour du cou :

« Tu me fais là, ô ma fille, un récit bien agréable, excellent ; j’ai plaisir à t’écouter raconter, un grand plaisir, ô loi qui parles avec douceur ! — Mais voilà que le soleil s’en va vers le couchant, et déjà commence la nuit, qui repose, avec son cortège de planètes et de constellations, et toute transparente — Des oiseaux dispersés pendant le jour, et qui s’assemblent aux lieux choisis pour prendre leur nourriture, on entend le bruit. — Les solitaires qui étaient partis vers l’étang pour y faire leurs ablutions, la cruche à la main, ont fini de se baigner, ils reviennent avec leurs vêtemens

  1. Sitâ est considérée comme la fille de Djanaka, roi du Mithila, — aujourd’hui le Tirhut, — au nord-est du Bengale. Un jour que Djanaka traçait avec la charrue le lieu destiné au sacrifice, la jeune fille sortit de terre, tenant ses deux mains levées. Râma l’avait obtenue pour épouse en rompant un arc merveilleux qu’aucun prince n’avait pu tendre.