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héros, qu’elle leur rapporte sans discernement tout ce que l’esprit humain peut concevoir de plus héroïque et l’imagination de plus extravagant, qu’elle nous les montre en communication constante avec les dieux dont ils exécutent les volontés sur la terre, — il n’y a rien là qui doive surprendre. Les grands noms qui ont dominé les époques lointaines ne ressemblent-ils pas aux sommets des hautes montagnes, rendus inaccessibles à nos regards, tantôt par les brumes épaisses qui en voilent les contours, tantôt par l’éclat trop éblouissant du soleil qui les fait paraître comme enflammés ? Cependant la fable païenne n’a jamais inventé complètement les héros auxquels l’antiquité avait élevé des temples ou dressé des statues. Aux illustres personnages qu’ils ont considérés comme des incarnations de leurs dieux les poètes hindous n’ont fait que donner des proportions surhumaines. À la manière des grands artistes de toutes les époques, les écrivains de l’Inde ont idéalisé, agrandi leurs modèles ; ils se sont appliqués à ennoblir tous les traits de ceux qu’ils voulaient proposer en exemple aux générations futures. Les demi-dieux de l’Inde, Râma, les fils de Pândou et Krichna, ont donc réellement existé, quoique l’on ignore l’époque précise de leur apparition sur la terre, et c’est à ce titre de héros réels, exprimant à des degrés divers le type de la perfection selon l’idée indienne, qu’ils méritent de fixer notre attention.

Pour apprécier à leur juste valeur les exploits des demi-dieux hindous, il importe de connaître les ennemis qu’ils avaient à vaincre et quels services ils rendaient à l’humanité par leurs victoires. Les tribus aryennes, on le sait déjà, ne s’établirent pas sur le territoire de l’Inde sans avoir de grands combats à soutenir contre les peuplades barbares qui occupaient le pays. À mesure que ces barbares dépossédés et vaincus se retiraient devant le flot envahissant de la race conquérante, celle-ci bâtissait des villes et fondait des royaumes. Autour des cités naissantes, la culture s’étendait peu à peu, mais assez lentement d’abord, et par-delà les hameaux semés dans la plaine, par-delà les habitations temporaires des bergers, les brahmanes voués à la méditation s’enfonçaient à travers les forêts inconnues, attirés et comme éblouis par la majesté de ces solitudes toutes remplies d’ombre et de mystère. Dans les bois, devenus la retraite des sauvages ennemis de la race aryenne, l’imagination effrayée des Hindous plaçait un grand nombre d’êtres malfaisans, supérieurs à l’homme en force, en énergie morale et en perversité, connus sous le nom de rakchasas ou ogres, yakchas ou gnomes, piçatchas ou vampires, etc. Établis dans de frais ermitages au bord d’un lac ou auprès d’une source, les sages avaient beau élever leur esprit au-dessus des choses humaines par l’étude du Véda et la mé-