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grande popularité. Nabucco et puis Ernani, composé à Venise en 1843 sous les yeux de Manin, qui avait déjà commencé à jouer le rôle d’agitateur légal contre le gouvernement de l’Autriche, ces opéras et ceux qui vinrent ensuite avaient précisément les qualités et les défauts qui devaient plaire à des imaginations plus exaltées que délicates. Les libretti choisis par M. Verdi, toujours d’un caractère sombre et mélodramatique, la nature de ses idées musicales peu nombreuses, mais colorées et vibrantes, son penchant pour les effets heurtés, la grosse sonorité et les rhythmes violens, la réputation de patriote que le maestro s’était laissé faire par ses admirateurs, et qui devint pour lui un titre à Paris auprès des écrivains du National et d’autres journaux républicains, ces élémens secondaires de succès, ajoutés au mérite incontestable de certaines parties de son talent, donnèrent aux opéras de M. Verdi la vogue d’une œuvre quasi-politique. On le jugea avec passion ; sa musique s’enrichit de tous les courans, de tous les vœux secrets de l’opinion ; on applaudissait, au finale du troisième acte d’Ernani, — A Carlo magno gloria e onor, — qui est un morceau d’ensemble d’un bel effet, comme on applaudit un chant patriotique qui, en exaltant l’émotion de tous, acquiert la puissance d’un acte de foi. « Les symboles ne signifient que ce qu’on leur ordonne de signifier ; l’homme fait la sainteté de ce qu’il croit, comme la beauté de ce qu’il aime, » a dit M. Ernest Renan dans sa belle étude sur un tableau de M. Ary Scheffer, la Tentation du Christ[1]. Ce n’est point un rapprochement téméraire que de voir aussi dans la vogue inouïe et, selon nous, excessive des opéras de M. Verdi la valeur d’un sentiment national sanctifiant la forme imparfaite qui lui sert de symbole pendant une transition difficile. Et cela se conçoit surtout dans certaines régions de l’Italie, où l’oppression qui pèse sur toutes les intelligences et sur tous les cœurs ne laisse guère échapper à sa vigilance que ce qui ne tombe pas sous le sens grossier de la police. Or la musique est celui de tous les arts qui renferme le plus de parties mystérieuses propres à satisfaire ce besoin d’infini, qui est le plus beau titre de la nature humaine. Toute œuvre d’art qui suscite un grand intérêt, et qui arrive à ce qu’on peut appeler une popularité avouable, mérite un sérieux examen, car il est évident qu’il y a dans cette œuvre quelque chose du sentiment qu’elle a éveillé dans les cœurs qui l’ont acclamée. Le succès est un fait qu’il faut apprécier ; mais il appartient à la critique, ce nous semble, de dégager du symbole matériel l’élément divin qui doit lui survivre.

Pour revenir à des idées plus humbles et nous servir d’un langage plus précis, nous dirons aujourd’hui à nos contradicteurs ce que nous avons dit si souvent ici même : M. Verdi est un homme de talent dont la réputation excessive n’est pas justifiée par le seul mérite de ses ouvrages. M. Verdi n’est point le fondateur d’une nouvelle école, comme le croient des amateurs zélés et certains écrivains qui veulent bien nous honorer de leurs injures. Il se rattacherait plutôt à la tradition de Gluck, s’il était un meilleur musicien, et il n’est après tout qu’un imitateur peu adroit de Meyerbeer et de l’école allemande. On trouve souvent dans les opéras de M. Verdi des mélodies heureuses qui n’ont pas le développement nécessaire, des morceaux

  1. Voyez Études d’histoire religieuse, p. 423.