Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/899

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle a voulu honorer de ses regrets : la fermeté du caractère au milieu de nombreuses et cruelles vicissitudes, le respect du juste et du beau, le triomphe d’une conscience éclairée qui ne transige pas avec les événemens qui lui enlèvent ses espérances. Une de ces organisations mobiles, exquises et privilégiées qui vivent quelques heures de poésie et d’amour pour laisser un nom immortel, c’est-à-dire Alfred de Musset, a été enlevé aussi pendant l’année 1857, que ces pertes multipliées marquent d’un signe indélébile.

Cependant les théâtres s’agitent, et si les chefs-d’œuvre n’abondent pas sous les yeux du public, ce n’est pas faute de beaucoup d’efforts de la part des entrepreneurs de succès. Jamais l’industrie, qui s’attache à faire éclore les talens et les germes cachés, n’a été plus vigilante et plus habile que de nos jours. D’où vient cependant la stérilité des résultats ? La pisciculture, l’horticulture, la télégraphie sous-marine, la mécanique, les sciences physiques et mathématiques, les recherches historiques et philologiques, en un mot l’ensemble des connaissances de l’esprit humain n’a jamais été plus étendu et plus florissant. Le monde se transforme sous nos yeux, la pensée ne recule devant aucun obstacle, aucun mystère ne résiste à sa pénétration ou n’effraie son audace, et dans le champ de la libre fantaisie, à un petit nombre d’exceptions près, rien ne se produit de remarquable, ou du moins de durable ! L’imagination aurait-elle épuisé la source de ses enchantemens ? N’y aurait-il plus de belles passions à mettre en œuvre, et le cœur humain est-il si connu, qu’on ne puisse en tirer de nouveaux accens ? Ou bien faut-il croire avec un philosophe qui vient aussi de mourir tout récemment, M. Auguste Comte, que l’humanité, ayant passé l’âge des illusions et des conceptions chimériques, est arrivée à ce degré de maturité où la connaissance des véritables lois de la nature peut seule la satisfaire ? Ainsi donc la philosophie positive, car tel est le titre de l’ouvrage où M. Auguste Comte a exposé l’ensemble de ses idées, serait la clé du monde à venir, où nul ne pourra pénétrer s’il n’est géomètre, comme l’exigeait déjà Platon de ceux qu’il admettait à son école ? Ce qui est certain, ce qui paraît être le besoin et la tendance de l’époque que nous traversons, c’est l’alliance des lettres et de la science, une forme élevée et un beau style mis au service de la vérité. Pour intéresser les générations qui arrivent à la vie, il faudra parler de philosophie comme M Cousin, ou de haute philologie comme M. Ernest Renan ; il faudra écrire sur les sciences naturelles et médicales comme M. Littré. Les baladins de la phrase, les chercheurs de mots pittoresques qui ne peignent rien, les amateurs du relief sonore qui cache le vide de la pensée, seront abandonnés à leur triste sort et à la solitude qui se fait déjà autour d’eux. C’est tout au plus si on pardonnera à une belle imagination, comme celle de Mme Sand, de se jouer de la vérité en rapprochant, comme elle l’a fait dans ses mémoires, l’agréable génie de Chopin d’un colosse comme Beethoven. Et lorsqu’une intelligence aussi vive et aussi pénétrante que celle de Balzac s’amusera à écrire des pauvretés sur le Moïse italien de Rossini, on passera outre en lui disant : — Dites-nous plutôt, monsieur de Balzac, un de ces contes que vous savez si bien ourdir, et laissez la musique à qui a pris la peine de l’étudier ! — Stendhal lui-même ne sera plus possible, car tout l’esprit qu’il a mis dans sa Vie de Rossini ne suffit pas pour en pallier les bévues.

En attendant qu’il naisse à la France un poète, un poète comique surtout,