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du Voyageur, et il trouvait encore quelques heures pour un autre ouvrage qui était la distraction de ses momens d’ennui, qui, sans être des mémoires, en avait pour lui l’attrait par un mélange heureusement combiné d’événemens imaginaires et de souvenirs personnels, par une union de la fiction et de la réalité, le Vicaire de Wakefield. C’est au séjour de Goldsmith à Islington que la langue anglaise doit deux de ses chefs-d’œuvre.

La connaissance de Johnson ne fut pas moins utile à Goldsmith que celle de Newbery. Touché de la façon élogieuse dont Goldsmith s’était exprimé sur son compte en plusieurs occasions, Johnson voulut connaître ce critique si bienveillant. Tous deux avaient un ami commun, Percy, qui les présenta l’un à l’autre. Johnson avait connu toutes les angoisses et toutes les souffrances de la pauvreté : c’était au prix des efforts les plus pénibles et les plus opiniâtres qu’il était parvenu à se faire jour dans la littérature. Arrivé à l’apogée de sa réputation, admiré de toute l’Angleterre et réputé l’arbitre suprême du goût, il avait conservé de ses luttes passées un amer souvenir qui tournait à la misanthropie ; mais en dépit de son humeur morose et de la rudesse de ses manières, son caractère était demeuré droit et son cœur excellent. Il suffisait d’être honnête homme pour avoir ses sympathies, d’être malheureux pour obtenir son appui. Dès le premier jour qu’il vit Goldsmith, il apprécia son talent à sa valeur, et il l’aima pour sa bonté, pour sa candeur et pour sa faiblesse. Il prit sous sa protection cet agneau sans défense, exploité par les éditeurs, pillé par les plagiaires, insulté par les critiques. Comme il s’était mis sur le pied de tout dire, et ne se laissait intimider ni par les grands seigneurs, ni par les pamphlétaires, son amitié fut pour Goldsmith un bouclier. Aux envieux, aux sots et aux importans, aux Kenrick, aux Boswell et aux Hawkins, qui dénigraient ou tournaient en ridicule l’écrivain besoigneux et timide, il fermait la bouche par quelque déclaration catégorique : « Trouvez un homme qui tourne aussi bien et aussi agréablement un article. — Goldsmith est un de nos premiers écrivains, et de plus il mérite notre estime. — Poésie, théâtre, histoire, Goldsmith est au premier rang en tout ce qu’il entreprend. » C’est en termes semblables que Johnson, en toute occasion, se plut à rendre hommage à Goldsmith, et cette amitié généreuse ne contribua pas médiocrement à soutenir l’humble poète contre le découragement, et à lui faire rendre justice par le public.

Johnson, du reste, n’était pas seul à apprécier le talent et les aimables qualités de Goldsmith. Chaque jour amenait à celui-ci quelque nouvelle et honorable amitié. C’était Edmond Burke, son ancien camarade à l’université de Dublin ; c’était un grand artiste, le peintre