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Il fallait de l’air, du soleil et de la verdure à ce fils des champs, dont l’enfance s’était écoulée au milieu des prairies et des bois, et dont l’active jeunesse avait parcouru une moitié de l’Europe. C’est alors qu’il pensait à Lissoy et au bosquet d’aubépines à l’ombre duquel il avait joué, à son frère Henri, pauvre curé de village qui avait trouvé le bonheur dans la pratique de toutes les vertus, à l’auberge de George Conway, où il avait tant de fois chanté des chansons joyeuses avec Robert Bryanton et ses autres amis d’enfance, et où maintenant l’on se réunissait sans lui. Il courait chez Newbery, et en échange de quelqu’une de ces besognes obscures auxquelles s’usait son génie, il obtenait quelques guinées avec lesquelles il allait prendre un peu de repos hors de Londres, à Tunbridge, à Bath, à Orpington. Et si la pluie venait à le confiner dans une auberge, il écrivait avec une bague, sur le carreau d’une fenêtre, quelques vers charmans qui devaient, sans qu’il s’en doutât, éterniser le souvenir de son passage.

Newbery s’était bien vite aperçu que Goldsmith était un véritable enfant qu’il fallait tenir en tutelle dans son propre intérêt : en homme avisé, il songea à tirer parti des faiblesses du grand écrivain tout en lui rendant service. Il avait une maison de campagne à Canonbury-Terrace, sur le territoire d’Islington. Il découvrit tout auprès, chez une veuve nommée mistress Fleming, un petit appartement garni : il y installa Goldsmith, dont il payait tous les trois mois le loyer, la pension et jusqu’au blanchissage. Il retenait ensuite ses avances sur le prix des travaux que Goldsmith faisait pour lui. Il procurait de la sorte au poète une existence régulière et une tranquillité que celui-ci n’avait jamais connue, et il s’assurait à lui-même toutes les productions de ce charmant esprit. Il garda ainsi Goldsmith à Islington depuis les derniers jours de 1762 jusqu’à la fin de l’été de 1764, et cette réclusion de dix-huit mois fut après tout l’époque la plus paisible et la plus féconde de son existence. De temps en temps, Goldsmith faisait une excursion à Londres pour se distraire et pour voir ses amis, mais il revenait promptement et volontiers au bercail. Non-seulement il était débarrassé de toutes les préoccupations de la vie matérielle, non-seulement il n’avait plus de créanciers pour le harasser ni d’importuns pour consumer son temps, non-seulement il travaillait à ses heures et pouvait faire alterner l’étude et la promenade, mais il pouvait enfin écrire pour lui-même et aspirer à la gloire littéraire. Sans doute il fallait bien, pour s’acquitter envers les libraires, rédiger des introductions et des préfaces pour l’Histoire naturelle de Brookes, compiler une histoire d’Angleterre par lettres, improviser des brochures et des articles ; mais tout en se promenant il mettait la dernière main à son poème