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portent sur des usages qui de son temps étaient parfaitement connus du dernier des Grecs.

« M. Gray n’a point les avantages de l’écrivain grec. Il s’adresse à un peuple qui se laisse malaisément pénétrer par des idées nouvelles, qui s’attache avec obstination aux idées anciennes, qui s’échauffe difficilement, et se refroidit avec une égale lenteur. Rien ne convient moins au caractère de notre nation que cette sorte de poésie qui nous surprend par des élans inattendus, où il faut se hâter de saisir la pensée sous peine de la laisser échapper, et où le lecteur doit avoir sa bonne part de l’enthousiasme du poète pour jouir de ses beautés. Les Odes de M. Gray ont sans doute beaucoup de l’inspiration de Pindare ; mais elles ont pris aussi l’apparente obscurité, les transitions soudaines, les épithètes hasardées de ce grand maître, et dans ces beautés cherchées par l’auteur, la généralité des lecteurs ne verra probablement que des défauts. En somme, ces odes sont dans une certaine mesure une reproduction de ce qu’aujourd’hui Pindare nous paraît être, mais non pas de ce qu’il était pour les états de la Grèce, lorsqu’ils se disputaient l’honneur de l’applaudir, et qu’on voyait Pan lui-même danser au son de ses mélodies. »


Sorti des mains de Griffiths, Goldsmith reprit l’exercice de la profession médicale ; il écrivait de temps en temps dans le Magasin littéraire, recueil récemment fondé par Newbery, et il traduisait pour les libraires des ouvrages français. Sa principale distraction était d’aller quelquefois au café du Temple-Exchange, près de Temple-Bar, où se réunissaient beaucoup de jeunes avocats et de jeunes médecins, et, suivant un usage assez général alors, il s’y faisait adresser ses lettres et y donnait ses rendez-vous, ce qui lui évitait de faire voir la pauvreté de son logement. Il occupait tout près de là une petite chambre dans Fleet-Street, à deux pas de la prison pour dettes. Un matin, il fut surpris de voir entrer dans sa chambre un jeune homme qui lui sauta au cou : c’était Charles, son frère cadet. En écrivant au pays, Goldsmith n’avait pu s’empêcher de parler des hommes célèbres, des auteurs en renom avec lesquels il s’était rencontré : on en avait conclu en Irlande qu’il était en train de faire fortune. Charles, qui venait d’atteindre ses dix-huit ans, et qui avait sa part de l’esprit aventureux de la famille, avait disparu de la maison maternelle pour venir rejoindre son frère à Londres et lui demander de le pousser dans le monde. En trouvant Olivier dans la pauvreté, il ne put retenir l’expression de sa surprise. « Tout viendra en son temps, mon cher enfant, lui dit gaiement Olivier : je finirai par être riche un jour. D’ailleurs, vous le voyez, je ne manque pas tout à fait de pain. Addison, souvenez-vous-en, a écrit son poème sur la campagne de 1707 dans un grenier d’Haymarket, au troisième, et moi, je n’en suis pas encore là ; je ne suis qu’au second étage. » Charles disparut aussi soudainement qu’il était venu : il