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première profession à laquelle il songea pour avoir du pain fut celle de maître d’études. Il se présenta sous un nom supposé dans un pensionnat des environs de Londres : on lui demanda s’il pouvait se recommander de quelqu’un ; il donna l’adresse du docteur Radcliff, un de ses anciens professeurs de Dublin, auquel il écrivit le jour même pour le prier de ne pas dévoiler son mensonge, et de laisser sans réponse la demande de renseignemens qui lui serait faite. Il espérait dans l’intervalle mériter par sa bonne conduite d’être conservé ; mais le silence du docteur Radcliff fut interprété contre lui, et il perdit sa place. Il pensa alors à entrer comme préparateur dans une pharmacie ; mais le manque de recommandation le fit partout éconduire. Enfin un pharmacien nommé Jacob, touché de son dénûment et de sa candeur, et découvrant par ses réponses qu’il savait réellement la chimie, consentit à le prendre avec lui. Il était depuis quelques mois dans cette humble position, lorsqu’il rencontra un de ses camarades d’Edimbourg, le docteur Sleigh. Celui-ci lui fit le meilleur accueil, l’exhorta à quitter la pharmacie pour la médecine, et lui donna de quoi acquérir un habit noir, une perruque et une canne, c’est-à-dire les trois quarts de la science du médecin. Malheureusement un praticien qui débute, qui n’a point d’amis pour le vanter ni d’aplomb pour se faire valoir, est sûr de n’avoir d’autres cliens que les pauvres. Ainsi arriva-t-il de Goldsmith, qui ne payait pas de mine, et dont l’humble logis trahissait la pauvreté ; il n’était appelé que par les indigens, et, avec le caractère qu’on lui a vu, il était plutôt d’humeur à donner à ses malades le peu qu’il avait qu’à leur réclamer ses honoraires. Les pauvres sont d’ordinaire reconnaissans de ce que l’on fait pour eux : un ouvrier imprimeur que Goldsmith avait soigné avec sa bonté ordinaire, et qui avait pénétré le secret de sa misère, lui donna le conseil de s’adresser à l’imprimeur chez lequel lui-même travaillait, qui était un homme riche, bienfaisant et secourable. C’était Richardson, l’auteur de Clarisse Harlowe. Goldsmith obtint d’utiliser comme correcteur d’épreuves ses loisirs trop fréquens. Il rencontra chez Richardson l’auteur des Nuits, Young, alors le poète à la mode, qui daigna quelquefois causer avec l’humble correcteur. L’ambition littéraire de Goldsmith se réveilla : à Leyde comme à Edimbourg, il n’avait pas cessé de faire des vers, et de Genève il avait adressé à son frère la première ébauche du Voyageur. Il commença une tragédie dont il écrivit au moins trois actes, et dont il soumit des fragmens à son patron. Il ne paraît pas que Richardson ait encouragé cet essai, dont aucune trace n’a pu être retrouvée ; Goldsmith l’aura sans doute détruit, comme toutes les œuvres de sa jeunesse. Du reste, ni son travail de correcteur ni ses ordonnances ne suffisaient à le