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en Irlande. Cette emplette épuisa presque complètement sa bourse ; il n’en persista pas moins dans ses projets de voyage. La mort toute récente du baron Louis de Holberg venait de ramener l’attention sur les débuts de cet homme célèbre. On rappelait que, fils d’un simple ouvrier, il avait appris seul à lire, qu’à l’âge de dix-sept ans il avait entrepris de faire le tour de l’Europe, et qu’il avait exécuté son dessein à pied, sans autre ressource qu’une voix agréable et un peu de talent pour la musique. Goldsmith, qui a raconté l’histoire de Holberg, pensa qu’il en pouvait faire autant que lui : il était jeune, vigoureux, quoique de petite taille, et familiarisé depuis longtemps avec la pauvreté et les privations ; il savait plusieurs langues et pouvait, au besoin, tirer parti de ses connaissances médicales. Il quitta donc Leyde en février 1755 et se mit en route pour la France à petites journées. Il visita Bruxelles, Anvers, puis Louvain, où il passa quelques mois ; on croit même qu’il y subit un examen de médecine. On sait très peu de chose de son séjour en France. Goldsmith, même quand il fut arrivé à la célébrité, ne faisait point difficulté de raconter les expédiens auxquels la pauvreté l’avait réduit ; mais ses amis de haut parage lui firent honte de ces sortes de confidences, comme si elles pouvaient jeter sur lui quelque discrédit. Goldsmith, avec sa docilité ordinaire, en crut leurs conseils ; il poussa même le soin jusqu’à effacer dans les dernières éditions de ses ouvrages les allusions à sa vie passée qui avaient pu lui échapper. Il nous apprend cependant lui-même qu’il suivit à Paris le cours de chimie de Rouelle, et il paraît avoir été présenté à Voltaire : du moins il ne parle jamais du grand écrivain que comme d’une personne qu’il a connue et avec laquelle il a conversé. Il quitta Paris à la suite d’un gentilhomme anglais qui allait faire un voyage en Suisse. Il parcourut avec lui la Lorraine, la Franche-Comté, l’Alsace, le duché de Bade et toute la Suisse jusqu’à Genève. Là une séparation eut lieu : Goldsmith était trop près de l’Italie pour résister à la tentation de la visiter. Il poursuivit donc son voyage à pied, il traversa les états de Venise, le Tyrol, et pénétra jusqu’en Carinthie ; découragé par la grossièreté des habitans et leurs mœurs peu hospitalières, il revint bientôt sur ses pas et parcourut la Lombardie, la Toscane et le Piémont. Il paraît avoir séjourné quelque temps à Padoue, dont l’université avait alors une célébrité européenne, et y avoir pris le grade de docteur. La façon dont il subvenait : à ses dépenses mérite d’être rapportée. C’était alors l’usage, dans les universités et les couvens d’Italie, que les jours de thèse, du lever au coucher du soleil, les candidats au doctorat se tinssent prêts à argumenter contre tout venant, et tout argumentant étranger qui se présentait et faisait preuve de quelque capacité avait droit à une petite rétribution