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compagnie ne put jamais le corriger. Ajoutons que les plaisirs de Londres ne valurent jamais non plus, à ses yeux, les divertissemens de sa jeunesse.


« Quand je songe, dit-il dans un de ses essais, aux champs où la première partie de ma vie s’est écoulée au sein de la solitude et loin de toute ambition, je ne puis me défendre d’un certain chagrin à la pensée que ces jours heureux ne doivent jamais revenir. Dans cette retraite, la nature entière semblait contribuer à mes plaisirs. Je ne raffinais pas alors sur le bonheur : j’étais charmé des plus gauches efforts d’une gaieté rustique, je regardais les énigmes comme la production la plus haute de l’esprit humain, et jouer aux propos interrompus me paraissait la façon la plus raisonnable d’employer une soirée. Je serais trop heureux, si une illusion aussi charmante pouvait durer encore. L’âge et l’expérience, à mon avis, n’ont d’autre effet que de nous aigrir le caractère. Mes divertissemens peuvent être plus raffinés aujourd’hui ; ils sont infiniment moins agréables. Le plaisir que le meilleur acteur peut me faire n’est point à comparer à celui que me donnait un farceur de village en contrefaisant le sermon d’un quaker. La voix de la plus habile chanteuse me paraît manquer d’harmonie quand je songe à la vieille servante qui me chantait les ballades du pays. »


Si douce et si agréable que fût pour lui cette existence désœuvrée, elle ne pouvait se prolonger. Les parens d’Olivier le pressèrent d’entrer dans les ordres. L’église avait toujours été la carrière de prédilection des Goldsmith ; un de leurs cousins venait d’être élevé à la dignité de doyen de Cloyne, et pourrait le protéger. Olivier ne se sentait aucune vocation pour l’état ecclésiastique, il se reconnaissait incapable d’en pratiquer les vertus, et le costume seul lui inspirait une aversion ridicule, mais insurmontable. Il se rendit cependant aux désirs des siens, et alla se présenter devant l’évêque d’Elphin. À sa grande joie, l’évêque refusa de l’ordonner, parce qu’il était trop jeune. Peut-être aussi l’évêque trouva-t-il qu’Olivier n’avait pas une gravité suffisante ; peut-être avait-il entendu parler de ses équipées à l’université. Olivier ne voulut point approfondir les causes d’un refus qui le comblait d’aise, et revint au plus vite annoncer son échec. Son oncle Contarine lui procura aussitôt une place de précepteur dans une des plus riches familles du comté de Roscommon. Les habitudes sédentaires de cette famille et la contrainte continuelle qu’il fallait s’imposer lui rendirent le métier de précepteur insupportable. Au bout d’un an, il demanda son congé ; on lui compta trente guinées et on lui fit présent d’un bon cheval. À la tête d’une pareille fortune, il ne songea point à retourner chez ses parens. Le moment lui parut arrivé de réaliser les projets de voyage qui avaient toujours occupé son esprit. Il se rendit tout droit à Cork, vendit son cheval en arrivant, et alla incontinent retenir sa place à bord d’un