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ces variations, la physiologie erra au gré des théories qui régnaient dans les autres sciences ou des doctrines imaginées par quelques hommes supérieurs. Ainsi elle fut alchimique avec les médecins arabes et juifs, chimique avec Sylvius, mystique avec van Helmont[1], physique avec Boerhave, animiste avec Stahl, vitaliste avec Barthès[2]. Elle refléta aussi les doctrines philosophiques de son temps, et c’est alors surtout que, revêtant un caractère plus général, elle s’adressa aux animaux pour trouver la solution des problèmes les plus délicats. Le mode de propagation, les métamorphoses des insectes fournirent tour à tour des argumens aux partisans de l’épigénèse, à ceux de l’évolution, et le grand Haller[3] demanda à l’embryogénie du poulet l’histoire du développement de l’homme lui-même.

Les naturalistes, presque tous occupés de recueillir, de classer, de cataloguer, ne pouvaient guère songer à la physiologie. Quelques-uns pourtant s’engagèrent sur ce terrain, et en général avec plus de prudence que les médecins. Réaumur, Swammerdam[4], au milieu de leurs expériences et tout en faisant de l’anatomie, ne perdirent jamais de vue l’étude des fonctions, ni les grandes questions de la physiologie générale. Malheureusement ils n’eurent que bien peu d’imitateurs parmi les anatomistes. Ceux-ci méconnurent trop souvent les préceptes de Haller sur l’alliance intime qui doit unir l’anatomie et la physiologie. Cuvier lui-même mérita ce grave reproche, mais peut-être est-il excusable. Lui et ses disciples immédiats nous ont fait connaître les instrumens, à nous de rechercher comment ils agissent.

Toutefois la physiologie ne pouvait rester étrangère au grand mouvement scientifique qui marque la fin du dernier siècle et le commencement du nôtre. À ce moment, la physique et la chimie surtout, prenant un essor inattendu, laissèrent bien loin en arrière le savoir ancien, et bientôt, non contentes de régner sur la matière brute, elles voulurent soumettre à leurs lois les êtres vivans. Par sa théorie de la respiration, Lavoisier fonda le chimisme moderne[5]. Cette invasion, tant de fois inutilement tentée, des sciences physico-chimiques dans le domaine des êtres vivans eut cette fois des avantages réels. Quelques hommes, éminens d’ailleurs, voulurent, il est vrai, ne voir dans les animaux que des appareils analogues à ceux de nos laboratoires, et s’engagèrent ainsi dans la plus fausse voie. En

  1. 1577-1644.
  2. 1668-1738, — 1660-1734, — 1734-1806.
  3. 1708-1777.
  4. 1637-1680.
  5. 1743-1793.