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ouvrages, expression d’une même pensée, fruit du même travail et s’appuyant l’un sur l’autre, les Leçons d’anatomie comparée et le Règne animal. A. partir de ce moment, la zoologie dut devenir anatomique, et ce caractère lui restera incontestablement ; mais ce progrès, si grand qu’il fût, en appelait, en nécessitait de nouveaux.

Cuvier, tout occupé de la méthode et de la classification, semblait demander avant tout aux organes que son scalpel mettait à nu des caractères intérieurs propres à compléter, à contrôler les caractères fournis par l’extérieur. Il saisissait admirablement les faits organiques tels que chaque animal les présente ; mais il allait rarement au-delà. Dès l’abord, Geoffroy Saint-Hilaire[1] comprit qu’il existait entre ces faits des rapports dont la connaissance pouvait seule imprimer à l’ensemble des observations recueillies le cachet d’une doctrine scientifique. Il se mit à la recherche de ces rapports avec l’ardeur qu’il portait à toutes, choses, et découvrit un certain nombre de lois, ou mieux de règles générales, que doit avoir sans cesse présentes à l’esprit quiconque s’occupe de ces difficiles problèmes. Ainsi, presque uniquement descriptive entre les mains de Cuvier, l’anatomie comparée devint essentiellement philosophique dans celles de Geoffroy. On le voit, ces deux grands esprits se complètent ici l’un l’autre. Engagés par des routes diverses dans des études identiques au fond, tous deux ont dû parfois méconnaître ce qui les rapprochait, et lutter pour leurs doctrines. Ces discussions ont fait un bruit dont l’écho se prolonge encore. On sait quel en fut le résultat. Grâce à un concours de circonstances très diverses, l’avantage sembla presque toujours rester à Cuvier ; mais la postérité, plus équitable que les contemporains, confondra dans une égale reconnaissance les deux fondateurs de l’anatomie comparée. Déjà, peut-on dire, justice a commencé à être rendue : Geoffroy Saint-Hilaire a sa statue à Étampes, sa ville natale, en attendant qu’il en ait une au Muséum.

L’anatomie philosophique, pour mériter son titre nouveau, devait embrasser tous les cas possibles. La logique conduisait de l’étude des êtres normaux à celle de ces êtres bizarres, presque toujours incapables de vivre, que l’on regardait alors comme des caprices ou des erreurs de la nature. Geoffroy aborda ce nouveau problème avec l’assurance, la conviction du génie sûr de lui-même et de ses déductions. Il ne craignit pas d’affirmer à l’avance que les monstres obéissaient aux mêmes lois fondamentales que l’organisation la plus ordinaire ; que pour en expliquer la formation il ne fallait recourir à rien de nouveau ; qu’ils rentreraient à tous égards dans ses formules anatomiques. Chose étrange, et qui n’est pas encore assez généralement

  1. 1772-1844.