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anatomie générale et comparée, physiologie, méthode naturelle, classification, cet immense génie a tout embrassé ; il a compris la zoologie complète. À vrai dire, les révolutions de cette science ont consisté seulement en ce que les successeurs du maître ont envisagé tour à tour chaque face du problème dont il avait saisi l’ensemble, et cependant l’œuvre d’Aristote présente d’immenses lacunes, renferme d’étranges erreurs. C’est que, dans les sciences d’observation, le temps est un indispensable élément du savoir. Le génie d’un seul homme peut sonder le monde de la pensée et découvrir en lui-même ce qu’y ont trouvé les Platon ou les Descartes : il peut, dans les sciences de calcul, atteindre d’un bond aux limites des déductions logiques, comme les Newton et les Pascal ; il peut concevoir une épreuve décisive et renouveler d’un seul coup toute une science d’expérimentation, comme l’a fait Lavoisier ; mais il ne saurait deviner ce qui existe, ce qu’il faut voir et toucher. Pour atteindre ce dernier résultat, il faut des années, des siècles. Voilà pourquoi Aristote a laissé en zoologie un édifice merveilleux par le plan que révèlent les fondations, mais à peu près tout entier à reprendre et à élever.

Entre les mains des Grecs, l’histoire des animaux apparaissait comme une vraie science : elle perdit ce caractère chez les Romains, et se lit avant tout anecdotique. Le volumineux ouvrage de Pline[1] est en grand ce que sont en petit la plupart de ces recueils informes que nous avons lus dans notre enfance, et d’après lesquels on juge trop souvent les sciences naturelles. Cette compilation indigeste de faits pris de toutes mains, accueillis sans critique, entassés sans ordre, semble avoir été écrite dans la seule intention d’amuser et d’étonner. De là ces histoires merveilleuses, ces descriptions de monstres, ces rêves de pure imagination qu’on rencontre à chaque page, mêlés à des faits intéressans, à des observations bien faites, et constituant autant d’acquisitions réelles pour la science de l’avenir. Avec tous ces vices, l’Histoire naturelle de Pline n’en est pas moins un des plus précieux monumens qu’aient respectés les siècles. Elle nous présente l’inventaire confus, mais complet, de tout un ensemble de sciences à l’une des grandes époques de l’antiquité. Sans doute l’erreur y tient presque autant de place que la vérité, mais la première entre pour une bonne part dans l’histoire de l’esprit humain, et, connaissant bien ce point de départ, nous n’en apprécions que mieux le chemin parcouru.

Pline, matérialiste et Romain, a d’ailleurs envisagé la zoologie sous un point de vue à peu près entièrement négligé par Aristote et

  1. 23-79 après J.-C.