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divisée en petites souverainetés tributaires du roi de Loango, dont les états, situés plus au nord, s’étendaient presque jusqu’à l’équateur. Kabenda dépendait de la principauté de N’Goy, qui n’avait pour limites au sud que le cours du Zaïre, et qui confinait au nord à la principauté de Makongo, dont le port était Malemba, distant de sept ou huit lieues de Kabenda. La traite avait jeté là de si profondes racines, que cette partie du continent africain a été, avec le golfe de Bénin, le point d’où les croiseurs français et anglais ont eu le plus de peine à l’extirper. Les marchands de Kabenda et de Malemba, initiés aux belles manières par nos négriers, avaient contracté dans ce long commerce certaines habitudes d’élégance qui contrastaient avec l’apparence sordide des habitans relégués sur la rive méridionale du Zaïre et réduits à n’avoir de communications qu’avec les marchands ou les moines portugais.

Dès que nous eûmes jeté l’ancre dans la baie de Kabenda, nous songeâmes à regagner par notre activité le temps que les contrariétés de notre traversée nous avaient fait perdre, et pas un mousse ne demeura oisif à bord. Il fallut s’occuper avant tout de faire à notre bâtiment les réparations que ses fatigues et sa vétusté rendaient indispensables. Nous faisions beaucoup d’eau : pour en découvrir la cause, nous fîmes incliner le navire sur un bord, puis sur l’autre ; nous lui donnâmes ce que, dans le langage des marins, on appelle une forte demi-bande, et nous reconnûmes que les coutures au-dessous de la flottaison étaient trop larges pour retenir les étoupes : preuve incontestable que le Bon-Père, avant d’entreprendre ce nouveau voyage, avait déjà gagné ses invalides. Il fallut recouvrir ces coutures avec des lattes de bois et clouer par-dessus de fortes bandes de toile goudronnée. Grâce à cette opération, nous fûmes dispensés, pendant le reste de la campagne, de la pénible obligation de pomper presque constamment. Ce travail n’employa d’ailleurs qu’une partie de l’équipage ; l’autre fut occupée à préparer le terrain sur lequel nous devions installer nos magasins et à l’enclore d’une palissade assez élevée pour en défendre l’accès.

Notre capitaine, qui avait une grande expérience des campagnes de traite, avait envoyé au chef noir qu’il savait le plus influent sur les marchands, d’esclaves des émissaires chargés de lui offrir des cadeaux dont l’effet séduisant n’était pas douteux : — quelques pièces d’étoffe de soie, de la poudre à canon et de l’eau-de-vie au degré le plus élevé. Ce dernier présent ne pouvait manquer d’assurer au capitaine du Bon-Père une préférence marquée sur tous ses concurrens. Lorsque notre comptoir fut installé, le capitaine s’établit à terre avec un officier, laissant le second et le reste de l’état-major à bord du bâtiment. Dès lors la traite commença. Les captifs arrivèrent