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les raisonnemens ne manquaient pas pour démontrer la vraisemblance d’une pareille supposition. Aujourd’hui la question n’est plus à résoudre. On sait que le Zaïre, si large, si profond et si rapide à son embouchure, n’a cependant qu’un cours égal en étendue à celui du Danube, double de celui du Rhin, inférieur de plus de moitié à celui du Nil ou du fleuve des Amazones. Ce n’en est pas moins une artère importante de l’Afrique centrale, et si jamais la civilisation acquiert dans ce vieux continent le développement qu’elle a pris en quelques années dans le Nouveau-Monde, le Zaïre verra s’élever sur ses bords des cités non moins florissantes que la Thèbes aux cent portes, que Babylone ou que Ninive.

C’était à Kabenda, à cinquante-cinq lieues au nord d’Ambriz, à quinze lieues tout au plus de l’embouchure du Zaïre, que nous devions, suivant l’expression consacrée, établir notre comptoir de traite. La baie de Kabenda, formée par le promontoire de ce nom, offre un excellent mouillage aux plus gros bâtimens. Les embarcations, chose rare sur la côte d’Afrique, y peuvent de tout temps communiquer avec la terre, grâce à un banc de vase distant d’un demi-mille environ du rivage, qui forme dans la baie même un précieux abri intérieur. On y trouve de l’eau douce, une grande abondance de poisson, et les captifs y valaient en 1788 de 400 à 450 livres, prix courant. Ces esclaves n’étaient pas moins chers que ceux qu’on se procurait sur la côte d’Or : ils étaient, je l’ai dit déjà, beaucoup moins robustes ; mais, comme ils étaient en même temps intelligens, dociles et inoffensifs, on ne laissait pas de les rechercher beaucoup dans nos colonies par la même raison qui fait qu’on y recherche aujourd’hui les engagés hindous. Les captifs de Kabenda étaient pour la plupart d’une taille au-dessous de la moyenne, d’apparence plutôt délicate que chétivé. Leur physionomie joyeuse, placide et insouciante semblait indiquer que dans la servitude ils ne redoutaient guère que l’obligation du travail. Nulles tribus africaines ne savouraient en effet plus délicieusement le bonheur de la paresse que celles qui habitaient, au temps où je visitai cette partie du monde, la côte du Congo et la côte d’Angola. Elles cultivaient, il est vrai, le manioc, le maïs, les ignames et les courges, mais en quantité à peine suffisante pour subvenir à leurs propres besoins. Sur les autres points de la côte d’Afrique, les négriers achetaient sans peine des provisions pour la nourriture de leurs esclaves. Le Sénégal leur fournissait du millet, la côte d’Or et le golfe de Bénin du maïs et des courges, le golfe de Biafra des ignames. Sur les côtes du Congo et d’Angola, plus d’un capitaine s’était mal trouvé d’avoir trop compté sur les ressources du pays.

Toute cette région, où la France avait ses marchés favoris, était