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française : elle l’a, ce me semble, payé assez cher pour qu’on ne le lui conteste pas. Abandonné par nous, ce principe fut recueilli par l’Angleterre, qui en 1815 réussit à le faire triompher. Cependant, malgré l’accord et les sermens de la plupart des nations maritimes, trente ou quarante mille esclaves n’ont pas cessé, pendant plus d’un quart de siècle, d’être exportés annuellement de la côte d’Afrique sur les rivages du Nouveau-Monde. Seulement, en raison des dangers et des chances désavantageuses qu’il fallait courir, le prix du noir avait baissé sur le marché africain de 400 francs à 150 et 140 ; il s’était élevé, sur le marché où on l’importait, de 1,200 fr. à 1,500 francs. Il restait ainsi assez de bénéfices pour encourager la spéculation. Les croiseurs se consumaient donc en efforts impuissans pour mettre un terme à des fraudes qui trouvaient partout des complices. Le golfe de Bénin, le Congo et la côte d’Angola étaient devenus les principaux foyers de traite ; le Portugal et l’Espagne fournissaient les plus effrontés négriers ; le Brésil et Cuba étaient les deux gouffres où allaient encore s’engloutir en 1848 plus de soixante mille captifs[1]. Les progrès de la marine à vapeur, qui ont résolu tant de problèmes, ont aussi eu cet heureux effet de rendre la répression d’un trafic mis au ban des nations plus efficace à la fois et plus facile. Le Brésil et Cuba, gorgés d’esclaves, ont trouvé plus de risques que de profits dans ces opérations, qui les exposaient en outre aux réclamations, de jour en jour plus vives, de l’Angleterre. La traite, on peut le dire ; est aujourd’hui complètement supprimée : admirable résultat de l’union cordiale et sincère de ces deux grands peuples dont l’alliance sera toujours le gage le plus assuré des progrès de la civilisation ! Je n’aurais pas tenu ce langage il y a cinquante ans. J’avais alors pour les Anglais les sentimens que Nelson avait pour nous ; mais les temps sont changeans et les cœurs des nations aussi.

Le Bon-Père, — tel était le nom du bâtiment sur lequel j’avais obtenu d’être embarqué, — était un grand brick percé de seize sabords et armé de six canons. Bien qu’on prétendît qu’il avait été jadis construit pour la course, sa marche était au-dessous des plus médiocres. Son équipage était composé de quarante-cinq hommes, officiers et capitaine compris. J’étais porté sur le rôle comme volontaire aux appointemens de 30 francs par mois, et admis, ainsi que toutes les personnes de l’état-major, à la table du capitaine. Cette

  1. L’importation des Africains au Brésil a été en 1842 de 17,000, en 1843 de 19,000, en 1844 de 22,000, en 1845 de 29,000, en 1846 de 50,000, en 1847 de 56,000, en 1848 de 60,000, en 1849 de 54,000. À dater de 1849, la période décroissante commence ; l’importation au Brésil n’est plus : en 1850 que de 23,000 esclaves, en 1851 de 3,000 en 1852 de 700. En 1853, l’importation parait avoir complètement cessé.