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eu déjà tant de preuves depuis mon embarquement sur la frégate. Au moment de déraper, il fallut appeler sur le pont une grande partie des hommes qui étaient au cabestan, afin de border les huniers et de hisser les focs. À la suite d’un violent coup de tangage, les barres du cabestan, qu’on avait négligé d’unir entre elles par une corde, furent lancées de tous côtés par l’action de la force centrifuge. Plus de vingt personnes furent tuées ou blessées très grièvement. Je fus moi-même rudement frappé par le capitaine d’armes, qui, atteint par le bout d’une barre, se mit à pirouetter, les bras écartés, et me lança sans connaissance sur la culasse d’un canon. Les soins qui me furent donnés me rétablirent promptement, mais j’avais reçu une leçon que je n’oubliai pas : il faut bien payer son éducation.

En quittant ce funeste mouillage, nous suivîmes la côte d’Afrique, en nous arrêtant d’abord à Saint-Louis et dans l’île de Gorée, où nous débarquâmes sans encombre des troupes destinées à fortifier nos garnisons coloniales. La frégate se dirigea ensuite vers les établissemens hollandais d’Axim et d’El-Mina, qui méritaient à plus d’un titre de fixer l’attention d’un équipage français. Le fort d’El-Mina, armé de cent pièces de canon, était le chef-lieu des nombreux comptoirs que les Hollandais possédaient alors dans cette partie du monde. La population d’El-Mina se composait à cette époque presque entièrement de noirs. Les cases y étaient nombreuses, mais peu commodes, et plutôt faites pour loger des abeilles que des hommes. La compagnie hollandaise avait créé, à quelque distance du fort, un immense jardin dans lequel, avec ce génie de l’horticulture particulier à la race batave, elle avait creusé de vastes bassins destinés à conserver les eaux pluviales et à faciliter ainsi en tout temps l’arrosage. La puissance de végétation dont ce jardin offrait le spectacle était pour nous un perpétuel sujet d’étonnement. Des orangers, plantés de manière à former de longues avenues, y avaient acquis une élévation qu’on pouvait comparer à celle de nos arbres de haute futaie. Le jardin d’El-Mina, presque négligé quand nous le visitâmes, suffisait à donner une idée des produits que pourrait fournir une terre à laquelle il ne manque que des bras pour la mettre en culture.

Au moment où nous allions quitter le mouillage d’El-Mina, nous fûmes joints par un navire de commerce français chargé de vivres destinés à ravitailler la Reconnaissance. Le transbordement de ces vivres eut lieu pendant que nous étions à l’ancre. Cette circonstance donna aux agens préposés pour les recevoir la facilité d’en détourner une portion considérable, qu’ils vendirent à terre, ou laissèrent à bord du bâtiment qui les avait apportés, fraude odieuse qui devait nous condamner bientôt aux plus terribles privations.

À quelques lieues du fort d’El-Mina et dans la même baie, les Anglais avaient élevé une forteresse non moins considérable, connue sous