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en cette qualité, à l’âge de quatorze ans et demi, le 3 novembre 1787, sur la petite frégate la Reconnaissance. Cette frégate, qui était armée de vingt-six canons du calibre de 8, avait été donnée à la France par les Américains. C’était un bâtiment de construction très soignée. Les formes en étaient gracieuses, les emménagemens fort bien entendus. La dunette qui servait de logement au capitaine était parfaitement dissimulée. Le faux-pont et la batterie avaient partout une hauteur suffisante. La tenue du bâtiment n’était guère en harmonie par malheur avec ces élégans dehors. Tout était à bord dans le plus grand désordre ; le branle-bas ne se faisait que dans la batterie ; on ne s’occupait jamais du faux-pont, où les hamacs demeuraient constamment suspendus. Cette insouciance se manifestait dans toutes les parties du service. On ne faisait ni exercices d’artillerie ni exercices de manœuvre. Aussi l’équipage était-il fort ignorant, et cependant la frégate, avant son départ, venait de passer plus de six mois sur les vases de la Charente, en face du port des Barques. Il ne faut pas croire que ce qui se passait à bord de la Reconnaissance fût une exception. C’est là qu’en était généralement, pour les soins donnés à l’instruction du personnel et à l’organisation intérieure du navire, cette belle marine qui venait de balancer la fortune de l’Angleterre dans les mers des Antilles et de l’Inde. Les Anglais heureusement n’étaient pas sur ce point plus avancés que nous. Après les premières années des grandes guerres de la république, ils comprirent les vices d’un pareil système, et s’occupèrent de les réformer. Nous restâmes stationnaires. Aussi les résultats de la nouvelle lutte furent-ils bien différens de ce qu’ils avaient été à l’époque où la négligence dans les deux marines était la même.

Le temps que nous eussions pu consacrer à l’instruction militaire de nos jeunes marins ne se passait pas toutefois dans un far-niente complet. On l’employait à faire de magnifiques parties de barres, où nous apportions le même entrain que les midshipmen anglais dans leurs parties de cricket ; La plaine qui avoisine l’île Madame était le théâtre de nos joutes d’agilité. L’équipage était divisé en deux camps, et chacun faisait ses efforts pour, assurer le triomphe de son parti. Les succès étaient annoncés par des coups de pierriers ou par des roulemens de tambour. Ces distractions étaient considérées comme le meilleur moyen d’entretenir la santé des équipages, et en effet elles n’auraient point été un mauvais emploi de nos loisirs, si l’on eût su y mêler quelques occupations plus sérieuses. Tout le monde, sans distinction de grades, se rangeait dans un camp ou dans l’autre. La familiarité inséparable d’un jeu où l’émulation finit par être si vivement excitée n’altéra cependant pas la discipline, et les subordonnés n’en furent pas, durant la campagne, moins respectueux envers leurs supérieurs.