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inspirées le démon, je sentis mon courage s’accroître et je me dis : Si, par la grâce de Dieu, je puis terminer mon travail, j’écraserai de la sorte, je l’espère, les coquins qui se sont acharnés contre moi, et ma vengeance sera bien plus sûre, bien plus glorieuse, que si je m’étais débarrassé violemment de l’un d’entre eux. Le cœur plein de ces bonnes pensées, je regagnai ma maison. » Voilà certes des sentimens assez nouveaux chez un homme dont la conscience était chargée d’une demi-douzaine de meurtres, et qui, bien peu auparavant, au temps de ses altercations avec le Primatice, avertissait nettement celui-ci qu’il eût à opter entre l’abandon d’un travail sur lequel, lui, Benvenuto, avait compté et la perspective « d’être tué comme un chien ». Qu’on n’attribue pourtant pas à cette modération relative la valeur d’une conversion absolue. Cellini n’est pas si bien guéri qu’en plus d’une occasion il ne revienne encore à ses habitudes passées, — certain jour entre autres où il malmène étrangement ce même Bandinelli en présence du duc et de la cour ; — mais il ne s’agit plus maintenant que d’emportemens de parole, et là est le progrès.

Cependant le Persée n’avançait qu’à grand’peine. Pour faire face aux dépenses qu’entraînait l’exécution de ce grand ouvrage, Cellini était obligé souvent de reprendre son premier métier et de ciseler des bijoux ou des pièces d’orfèvrerie. Encore ne tirait-il de ses travaux en ce genre qu’un bien mince profit, surtout lorsqu’il avait affaire à la duchesse, femme de Côme, dont la munificence, à ce qu’il semble, se restreignait dans des limites encore plus étroites que la munificence de son mari. « Je fis pour cette princesse, dit-il, une bague qu’elle envoya en présent au roi Philippe, puis divers petits ouvrages qu’elle me commandait en termes si bienveillans, que je mettais tous mes soins à la contenter. Quant à son argent, je ne le voyais guère : Dieu sait pourtant si j’en avais besoin ! » Enfin, après deux années d’efforts, de patience et d’épreuves de toute sorte, la statue se trouva achevée. Restait un point délicat, l’opération de la fonte : opération d’autant plus difficile, qu’en vertu même de la composition, plusieurs parties se détachaient de la masse principale. Dans les conditions où se trouvait alors l’art du fondeur, il fallait un surcroît de précautions et une habileté toute nouvelle pour arriver à obtenir du même jet cette masse compacte et les morceaux plus ou moins isolés d’elle, — les deux bras de Persée par exemple, dont l’un tient élevée en l’air la tête de Méduse, tandis que l’autre, rejeté en arrière et encore armé du glaive, n’adhère au corps que par l’attache de l’épaule. Aussi, à mesure que le moment décisif approchait, l’incrédulité et les railleries redoublaient-elles, et le duc se montrait-il plus que jamais indisposé