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à bonne fin ce travail. On sait avec quelle infatigable constance il lutta pendant plusieurs années contre le mauvais vouloir de ses confrères et souvent du duc lui-même, contre les défiances de la foule, et, au dernier moment, contre de terribles difficultés matérielles, alors que, pendant la douteuse opération de la fonte, le fruit de ses peines, sa réputation, sa fortune, tout se jouait comme sur un coup de dé. Lui-même a raconté avec une verve et une vigueur d’accent saisissantes la longue histoire de ces péripéties, et l’on ne peut, tant que dure son récit, ne pas s’associer à ces anxiétés, refuser un intérêt légitime à ces efforts et un hommage à tant de persévérance. Nous verrons tout à l’heure si, l’ouvrage achevé, les applaudissemens qui en saluèrent l’apparition ne continuèrent pas dans un autre sens quelque chose des injustices passées, et s’il convient d’accepter sans restriction l’espèce d’admiration classique dont le Persée est resté l’objet.

Lorsque, après avoir quitté le service de François Ier Cellini revint se fixer à Florence, il fut accueilli d’abord par le duc Côme avec un empressement presque égal à la bienveillance qu’il avait rencontrée à la cour de Fontainebleau cinq ans auparavant. Côme Iern’avait pas, il est vrai, ce vif amour des arts, encore moins ces habitudes de munificence qui avaient illustré ses aïeux et qui distinguaient alors le roi de France ; mais il trouvait plus près de lui, dans les exemples d’Alexandre de Médicis et de Clément VII, des souvenirs moins imposans et un rôle mieux à sa portée. En se déclarant à son tour le patron de Cellini, il ne faisait que suivre une tradition de famille, et il hésita si peu sur ce point, que dès sa première entrevue avec l’artiste il lui commanda une statue ayant pour sujet Persée au moment pu il vient de trancher la tête de Méduse, Quelques semaines après, le modèle en petit de cette statue était déjà terminé et soumis au duc, qui s’écria, dit-on, avec un peu plus d’enthousiasme que de raison, puisque le Persée devait être placé à côté du David de Michel-Ange et de la Judith de Donatello : « Benvenuto, si tu réussis en grand comme tu as réussi dans cette statuette, l’œuvre sortie de tes mains sera plus belle qu’aucune des statues qui ornent la place[1]. » Jusque-là tout allait au mieux. Malheureusement les bonnes dispositions de Côme se changèrent assez vite en indifférence, sinon même en hostilité secrète. Des atermoiemens sans fin, de vagues promesses ou fort souvent le silence, — voilà ce que le duc opposait aux suppliques de Cellini, lorsque celui-ci, à

  1. Ce modèle, que l’on voit aujourd’hui dans la galerie des Offices à Florence, se recommande d’ailleurs par la verve de l’exécution et par l’unité du style : qualités qu’on ne retrouve pas, à beaucoup près, au même degré dans la statue exécutée ensuite par Cellini.