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de cette vie un tour héroïque ; mais ce n’est pas ainsi que finit l’effrayante légende. Au lieu d’une main inanimée et pâle, c’est une main vivante et un peu rouge qui étreint le bras de l’impitoyable galant. Mathurine s’empare de don Juan. Elle le force à lui parler le langage de Pierrot, à s’asseoir à la place où Pierrot se serait assis, à bercer enfin les enfans dont Pierrot aurait pu être le père, et qui sont peut-être les fils de Pierrot ; ma foi, voilà l’enfer de don Juan, et je crois par momens que j’ai déjà mis le pied dans cet enfer-là.

Puis il changea subitement de ton par une loi de sa nature, que ce récit essaiera de réfléchir, au risque de rester complexe, incertain, à l’état de problème comme cette vie. D’une voix où toute amertume avait disparu, où l’on ne sentait plus que la confiante ardeur d’un cœur épris, « mon ami, dit-il, j’aime, il faut bien que j’en convienne, j’aime une femme qui m’étonne chaque jour par toute la série de choses nobles et touchantes que je découvre en elle. Jamais je n’ai été très enclin à prendre au sérieux les héroïnes des métairies, des boutiques et des mansardes. J’ai toujours eu grand ? peine à croire que ces pauvres créatures, à qui le diable présente brutalement les fruits funestes sans se mettre en frais de beaux discours et de déguisemens, soient armées du même pouvoir sur nous que les Eves nées dans les jardins du luxe. Et pourquoi cependant après tout ? qui sait si elles ne doivent pas avoir à notre endroit un genre tout particulier d’attraction ? Ce drame de deux êtres qui, placés aux extrémités de cette vie, se font des signes passionnés, s’appellent et finissent par se rejoindre, n’est-il pas l’action la plus émouvante qui puisse nous occuper ici-bas ? Pourquoi ne s’aimeraient-ils pas avec sincérité, avec délices, en toute sûreté de conscience ? Ma foi, mon cher, je crois que nous nous adorons, la pâtissière et moi, car il s’agit d’une pâtissière… « 

Et Fleminges raconta tout ce que vous savez déjà.

« Je l’attendais, poursuivit-il, après ma lettre, ou plutôt je ne l’attendais guère. Malgré la prière passionnée que je lui avais adressée de venir me trouver en un logis dont je lui avais dépeint la solitude, je n’espérais pas qu’elle répondrait sur-le-champ à mon appel. J’étais donc chez moi, à l’heure qu’à tout hasard je lui avais indiquée, dans un état d’assez agréable incertitude, poursuivant à travers la fumée de mon cigare une rêverie qui pouvait se changer en une chose réelle, quand j’entendis un pas léger, le frôlement d’une robe et un coup discret frappé à ma porte. Ce fut un long frémissement dans toute ma personne, nul de ces aimables bruits ne m’avait jamais si vivement affecté. Je me levai, j’allai ouvrir, la charmante apparition était là.

« Je la reçus dans mes bras, elle n’est pas grande, et sa taille est