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qu’il s’abandonnerait volontiers à une affection présentant un peu plus d’analogie avec l’amour que son occupation du moment. — Par bonheur, se dit-il, je ne suis en aucune manière à la place de M. de Pornais. Je jouis d’une liberté complète, et je pourrais dès ce soir remplacer mon Honorine par quelque objet plus doux à mon cœur. J’aimerais, poursuivit-il en entrant plus avant dans sa rêverie, une femme qui m’aiderait à sortir du cercle où je tourne depuis si longtemps. Je voudrais m’attacher à une créature si étrangère au monde où j’ai vécu, qu’elle ne me choquât par aucune des vulgarités que je connais et que je redoute, dont j’attends la venue avec l’anxiété de mon vieux maître de musique guettant l’endroit où je faisais invariablement une fausse note.

Tout en devisant ainsi à part lui, il se trouva engagé dans une rue que l’on appelait la rue du Mail. Dans cette rue, il aperçut derrière un comptoir, à travers des vitres éclairées, une femme qu’il avait remarquée déjà plusieurs fois. C’était une pâtissière, mon Dieu, oui, le mot est dit maintenant, et même une pâtissière qui vendait des brioches fort estimées. Cette pâtissière n’en était pas moins ce qu’il y a de plus idéal et de plus charmant. Elle n’avait point une de ces vigoureuses beautés que l’on demande d’habitude aux déesses sorties de l’océan populaire : ce n’eût point été une femme à représenter aux fêtes révolutionnaires ni la paix, ni la justice, ni la vérité, ni la raison. Non, c’était au contraire une créature délicate, devant s’appeler Rosemonde ou Miranda plutôt que Sabine ou Porcie. Son front, du modèle le plus pur, pliait sous une chevelure mystérieuse ; ses grands yeux, surmontes par des sourcils d’un dessin élégant et sérieux, laissaient voir de bleues et limpides profondeurs. Ce qui toutefois rappelait un peu son origine et l’empêchait d’être une fille vivante de Raphaël ou de Vinci, c’était un nez fin et léger, mais moins correct que gracieux, ouvrant deux narines roses et mobiles au-dessus d’une bouche plus attrayante que les cerises des Confessions. Ce qui la rendait encore une femme de sa condition, c’était une fraîcheur étrangère aux madones dans leurs cadres, aux duchesses dans leurs salons, la fraîcheur de la rose sauvage, se moquant du soleil et de la bise, défiant la poussière de la route du haut de son buisson.

Fleminges se sentit ce soir-là atteint avec une vivacité toute particulière par cette beauté. « Voilà, se dit-il, une femme dont j’ai été bien sot de ne pas m’occuper jusqu’à ce jour. Quoiqu’elle soit derrière un comptoir, elle a de tous les prestiges, à coup sûr, le plus incontestable, c’est-à-dire la grâce. Si borné, si incomplet, si défectueux que soit son esprit, je la défie de m’impatienter plus que Mme de Pornais et maintes autres créatures qui m’ont vu à leurs