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monstrueuse. Mais nous sommes bien loin d’Herthal, ou probablement vous n’irez jamais, où, je crois, vous ne connaissez personne. Bref, Fleminges était aimé de Félicie-Honorine de Bressange, baronne de Pornais.

Mme de Pornais était une robuste femme, d’un coloris vigoureux, qui pouvait avoir une trentaine d’années. Elle passait pour une beauté à Herthal, où elle exerçait un empire absolu. Le fait est que ses traits ne manquaient pas de régularité, et si elle n’avait pas la blonde chevelure, la chair éclatante des femmes de Rubens, elle en avait les formes solides ; mais la plus redoutable des mauvaises puissances, la vulgarité, l’avait marquée de son empreinte. Son visage ne pouvait pas plus échapper à une minauderie banale que son esprit à un lieu commun.

Le baron de Pornais, personnage taciturne, qui en apparence semblait tout entier au goût des médailles antiques et des fleurs, avait cependant entouré sa compagne de quatre gros enfans. On prétend que ce sont là des fortifications excellentes, les seuls remparts qui puissent rendre une femme inexpugnable. Eh bien ! ces remparts-là avaient assez mal protégé Mme de Pornais. Comme nombre de femmes, la baronne passait sa vie à réunir dans une sorte d’olla-podrida les sentimens les plus opposés : affections maternelles, tendresse romanesque, légère pointe même d’amour ou tout au moins de devoir conjugal. C’était un abominable ragoût qu’elle servait impitoyablement au malheureux qui se trouvait vis-à-vis d’elle dans la situation de Fleminges. Ce pauvre Richard était obligé de subir sans cesse des tirades pleines d’un effroi haletant sur les dangers de la coqueluche, des homélies remplies d’une austérité onctueuse sur les obligations du mariage. Il faut avouer que les propos d’amour qui se trouvent en compagnie de ces respectables propos y font une figure singulière. Aussi, quand la sensible matrone venait tout à coup à changer de ton, le galant avait grande envie de la renvoyer à son mari et à ses enfans. Ce n’est pas à coup sûr que Mme de Pornais fît connaître à Fleminges un genre nouveau de déceptions : loin de là, elle lui rappelait au contraire maintes choses que, dans sa jeunesse, il avait prises avec de sérieux dépits et souvent avec de grandes douleurs. Seulement elle les lui rappelait comme ses toilettes de bal lui rappelaient aussi quelques toilettes pleines d’un art divin ; Richard voyait son passé lui apparaître dans l’étrange accoutrement de la province.

Pourquoi, me direz-vous alors, s’était-il lancé dans cette aventure ? que ne laissait-il cette honnête personne en repos ? Parce qu’il avait tout simplement cette habitude, que le roman ne veut jamais reconnaître, mais qu’il faut bien constater dans la vie réelle, de