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vérité ne changea pas cependant, et elle se renouvela dans d’immortels écrits, depuis le chancelier de L’Hôpital, l’historien de Thou jusqu’à Montesquieu, à Burke, et aux plus nobles représentans des libertés modernes.

M. de Lamartine a, par momens, figuré dans cette élite de la parole militante, et le grand poète s’est montré quelquefois puissant et généreux orateur. Qu’il n’oublie donc pas, qu’il ne sacrifie à aucun mécompte, à aucune illusion, les doctrines inaltérables de l’ancienne sagesse et de la vraie liberté ! qu’il ne prenne pas la tyrannie ou l’inertie du grand nombre pour une liberté, sa dictature réelle ou nominale pour un heureux progrès ! qu’il ne préconise pas le gouvernement concentré de la foule, car c’était là précisément cette république non libre prédite par Montesquieu, ce gouvernement de la convention et des clubs dont tout le monde connaît l’histoire. Pareille méprise était plus excusable chez Rousseau, avant l’épreuve des faits et dans la première ardeur des théories. C’est ainsi, comme l’a fortement démontré Benjamin Constant, que du Contrat social, des conséquences outrées de la souveraineté populaire, de la puissance irrésistible du suffrage universel, on voit sortir, sous la main de Rousseau, tout un ordre d’instrumens, et, qui pis est, de spécieux motifs pour la tyrannie.

Que cette erreur d’une belle imagination et d’un puissant esprit préserve ceux qui lui ressemblent ! On peut pardonner encore aux penseurs inactifs, aux poètes restés toujours et exclusivement poètes, d’avoir souhaité ou regretté la dictature par amour de la liberté, et fait l’apothéose de la force par amour de l’égalité ; mais le poète entré dans la vie politique, exposé aux luttes des assemblées, aux manœuvres des partis, aux instabilités de la foule, à ses alternatives de fièvre ou de léthargie, n’a pas le droit de se méprendre sur les choses ni sur les mots, de justifier l’arbitraire par le nombre de ceux qui le votent ou l’exercent, et de recommander la dictature comme un nécessaire et heureux passage vers la liberté.

C’est à ce point de vue, et par respect pour quelques belles traditions du génie antique trop oubliées aujourd’hui, sans être moins évidentes, qu’il nous a semblé permis de contredire quelque peu l’illustre auteur des Entretiens familiers sur la littérature de tous les pays et de tous les temps. Il n’exclut pas, sans doute, du cercle infini qu’il embrasse, cette parole classique dont nous avons reproduit quelques accens trop affaiblis. Il ne dédaigne pas plus Cicéron ou Xénophon qu’il n’oublie les poètes de l’Inde et qu’il ne néglige la mythologie chrétienne de Dante. Plus la variété et le charme de ses écrits lui donnent de lecteurs, plus il doit permettre quelques dissentimens. Il n’en est pas de moins offensif que la modeste étude