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et tous ses autres amours sont tièdes. Il n’a pas fait d’opposition en règle à la monarchie de juillet, qu’il avait d’ailleurs contribué à fonder. Faut-il croire, comme il le disait, que c’est parce que le gouvernement de juillet nous donnait autant de liberté que nous en pouvions porter, ou bien ne faudrait-il pas plutôt attribuer ce silence à la réserve naturelle d’un père qui s’est imposé le devoir de montrer une certaine bienveillance pour un enfant qu’il aime médiocrement, mais qu’après tout il ne peut désavouer ? La république le réclamait comme un de ses patriarches ; pourtant il ne lui a jamais prodigué l’éloge, et s’il ne l’a pas sifflée ouvertement, ce n’est pas, il est permis de le croire, parce qu’il pensait qu’elle méritait d’être applaudie. Qu’était-il donc, et sous quelle forme désirait-il voir triompher les principes de la révolution ?

Était-il bonapartiste ? Certes il n’eût jamais avoué une telle opinion. Il proteste en vers et en prose que dans Napoléon il a exalté l’homme et non le souverain. Il reproche à la France de l’empire d’avoir pris l’autel de la Victoire pour l’autel de la Liberté. Il a chanté Napoléon sous la restauration, mais alors le libéralisme s’était abrité sous le drapeau de l’empereur. Beaucoup arboraient ce drapeau par tactique, beaucoup l’arboraient par regret. En chantant l’empereur, Béranger a donc pu dire qu’il était resté fidèle à la liberté, et qu’il s’était servi de ce grand nom comme de l’arme la plus populaire qu’il eût à sa disposition. Tout cela est vrai, et cependant, s’il faut le dire, je crois fermement que Béranger était et n’était pas bonapartiste en même temps. Il n’était pas bonapartiste d’opinion ; il l’était d’instinct et de système. Expliquons-nous.

Lorsque de notre temps on ne peut déterminer avec certitude à quel parti un homme se rattache, la meilleure méthode à employer est de chercher à savoir comment il comprend l’organisation de la société qui est sortie de la révolution. Depuis que la révolution est venue au monde, deux principes, vieux comme l’histoire, se disputent l’honneur de l’organiser, la liberté et l’autorité ; mais ces deux principes, grâce aux conditions nouvelles qui leur étaient faites, ont dû prendre une forme nouvelle et s’inspirer de l’esprit de la révolution. La liberté, d’oligarchique et d’aristocratique qu’elle avait été jusqu’alors, est devenue démocratique ; l’autorité, qui avait prétendu jusqu’alors ne relever que d’elle-même, a cherché son droit d’exister dans le consentement populaire. Ces deux principes se sont donc rajeunis à la même source ; ils ont subi une transformation démocratique. Ils ont le même esprit et ils se proposent le même but ; mais leur antique combat continue sur la question de savoir comment ce but peut être atteint. De là deux systèmes en présence : l’absolutisme démocratique et le gouvernement libéral,