Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/656

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que de chutes, que de chevilles, que de boursoufflures et de métaphores traînées dans tous les hymnes républicains et dans tous les corps-de-garde de l’empire ! Ce ne sont que tyrans et esclaves, fers brisés, chars de victoire, nobles drapeaux. En général, ces chants existent surtout par le refrain, qui est sonore, bien trouvé, et en qui vient se condenser la pensée assez faiblement exprimée dans la strophe ; le refrain dans Béranger est, si j’osais m’exprimer ainsi, grossi de la strophe entière. Le sentiment de ces chansons est ordinairement beau, mais il est déparé par le style, qui n’est pas toujours net, quoi qu’on en dise, et qui est parfois pénible. Avec Béranger, il faut trop souvent aujourd’hui séparer le sentiment de son enveloppe. Une des plus parfaites de ces chansons patriotiques, l’Orage, nous servira d’exemple.

Vos pères ont eu bien des peines,
Comme eux ne soyez point trahis ;
D’une main ils brisaient leurs chaînes,
De l’autre ils vengeaient leur pays.
De leur char de victoire
Tombés sans déshonneur,
Ils vous lèguent la gloire ;
Ce fut tout leur bonheur.


Certes il y a dans cette strophe une certaine grandeur ; le mouvement en est beau ; y a-t-il pourtant trop d’audace à dire que ce style a vieilli ?

Mais c’est le sentiment seul que voyaient nos pères dans ces chants, qui n’ont pas été populaires à l’origine pour leur mérite littéraire. Ceux qui les chantaient voyaient dans ces mauvaises expressions de très grands souvenirs ; dans ces chaînes brisées, ils voyaient les triomphes de 89, et dans ce char de victoire, dont ils étaient tombés sans déshonneur, la défaite de Waterloo. Peu leur importait donc le style, avec lequel d’ailleurs ils étaient familiers, et puis cette emphase semblait naturelle en un pareil sujet. Les strophes du poète avaient beau se gonfler, elles étaient encore loin d’atteindre à la grandeur des événemens qu’elles voulaient célébrer. Ces chansons sont restées célèbres, parce qu’elles furent vraiment nationales. Il y eut un jour, une heure en effet, où elles donnèrent une voix au sentiment public, ou mieux à la douleur publique. L’esprit français, qui est si élastique, est sujet à des accès de découragement extrême. Après la double invasion, il y eut en France un moment de morne abattement. La nation courba la tête, et crut une minute que son rôle était fini, et qu’elle n’avait plus rien à faire dans ce monde. En dépit des bienfaits de la paix qu’on lui rendait, en dépit des libertés politiques qu’on lui promettait, elle se sentit vaincue. Ce découragement était-il insensé ? Je ne sais, mais la restauration