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le don du chant. Elle trouve des accens d’une douceur sympathique qui pincent finement quelque délicate fibre du cœur :

Jeté sur cette boule
Laid, chétif et souffrant,
Étouffé dans la foule,
Faute d’être assez grand,
Une plainte touchante
De ma bouche sortit :
Le bon Dieu me dit : Chante,
Chante, pauvre petit !

Cette mélancolie légère inspire toujours bien Béranger. Les larmes n’apparaissent qu’un instant, et s’arrêtent au bord des paupières ; mais avant qu’elles soient essuyées, elles ont eu le temps d’être traversées par la lumière, et elles en reflètent les couleurs. On a souvent comparé Béranger à Horace : c’est sans doute parce que l’un et l’autre n’ont jamais exprimé que des sentimens modérés ; mais ces sentimens ne sont pas chez les deux poètes de la même famille. Horace a chanté l’aurea mediocritas ; mais tous les plaisirs qu’il a célébrés ne peuvent se comprendre sans les doux loisirs, la sécurité, les villas paisibles, le falerne et les coupes d’or, en un mot sans cette chose que Voltaire déclare si nécessaire, — le superflu. Béranger est au contraire le poète de la médiocrité non dorée. Il est par excellence le poète de la jeunesse pauvre et même nécessiteuse : il en a exprimé toutes les légères tristesses et tous les désirs ; c’est là une des causes de sa grande popularité. Ses chansons les plus jolies s’adressent à un public immense et incessamment renouvelé. Ma Vocation, Mon vieil Habit, le Grenier, Maudit Printemps, renferment le peu qu’il y a de poésie dans l’existence du pauvre employé, de l’étudiant sans fortune, du jeune homme sans ressources qui use sa journée à tourner la roue du travail. Tout ce qu’ils ont senti et vu est là : le grenier où ils ont niché exempts d’envie, — car il faut avoir du loisir pour envier, et ce public est l’esclave du temps, — le vieil habit trop longtemps brossé qui connut des jours mêlés de plus de pluie que de soleil, et le plaisir saisi au passage, et les amours de rencontre interrompus par le printemps. Tous ces chants gaiement attendris, tendrement sensuels, sont en outre irréprochables au point de vue de la morale. Ils ne contiennent aucun alliage de sentimens bas et méchans, nulle envie coupable, nulle lâche convoitise, nulle récrimination déclamatoire contre les riches et les heureux. Combien ces jolis chants ont-ils réjoui de cœurs attristés et réchauffé de pauvres foyers solitaires ! Il ne faut pas s’étonner de la grande popularité de Béranger, car chaque variété de ses chansons s’adresse à un public immense. Les chants politiques