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qu’il devait bientôt contracter avec l’opulente héritière de la maison de Chateaumorand.

Quoi qu’il en soit, au moment de la publication des Épîtres morales en 1598, d’Urfé, compromis auprès de Henri IV par l’opiniâtreté de sa résistance dans le Forez, avait quitté la France, et était entré au service du duc de Savoie. Ce prince, dont il était l’allié par sa mère, l’avait accueilli avec beaucoup de faveur, et lui avait conféré de hautes dignités. Sur le titre de l’ouvrage dont nous venons de parler, il est qualifié écuyer et chambellan de son altesse, colonel-général de sa cavalerie et infanterie française, et capitaine de cent chevau-légers de ses ordonnances. Ses occupations lui laissant des loisirs d’autant plus doux qu’ils succédaient à une vie très agitée, il se livra de plus en plus à son goût pour les travaux littéraires. Il publia d’abord son poème de Sireine, qui n’est que la reproduction en vers assez faibles de l’épisode principal de la Diane de Montemayor, et que par conséquent nous ne faisons qu’indiquer. Enfin à quarante ans son esprit, fortifié par des lectures nombreuses, excité par des souvenirs de jeunesse qui souvent se réveillent à cette époque de la vie, adouci et poli par la fréquentation des salons et des cours, rencontra la veine heureuse où l’attendait le plus éclatant succès, et l’Astrée parut.

De même que l’Amadis représente la fin d’une période sociale, de même l’Astrée représente le commencement d’une autre. Nous avons vu que dans l’Amadis les extrêmes se touchent. La délicatesse de sentimens la plus exagérée y côtoie la grossièreté la plus licencieuse ; une sauvage énergie s’y rencontre mêlée à des raffinemens de mollesse insouciante ou mélancolique. Les aventures y sont chimériques, comme dans les romans du moyen âge, mais avec parti pris et sans naïveté. Les véritables devoirs de l’homme y sont presque toujours sacrifiés à des devoirs de fantaisie et d’apparat, et l’ensemble est essentiellement décousu et désordonné. C’est assez l’image de la haute société française sous les derniers Valois, de cette société à la fois corrompue et ardente, raffinée et brutale, chez laquelle le fanatisme religieux lui-même, si compliqué d’élémens étrangers, bigarré de paganisme dans les goûts, de scepticisme dans les idées et d’épicuréisme dans les mœurs, semble plutôt l’expression violente d’une sorte d’effervescence intellectuelle et physique que le signe d’une salutaire agitation morale.

Avec l’Astrée, nous entrons dans une période nouvelle, dans une période où, sous l’habile direction de Henri IV, la France commence à se remettre des sanglantes convulsions du siècle précédent, où se prépare une ère de progrès en tous genres. Les mœurs, en s’adoucissant, s’épurent peu à peu. Les femmes, sorties naguère de la solitude