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aux fils de famille en 1583. Il est évident qu’elle péchait plutôt par l’excès que par l’insuffisance des études classiques.

Rentré à dix-huit ans dans le manoir de ses pères, en Forez, Honoré d’Urfé se trouva bientôt engagé, à la suite de son frère et sous la direction du duc de Nemours, dans la guerre que la ligue, après l’assassinat des Guises, soutenait à la fois contre les calvinistes et contre les royalistes ; il prit part aux divers combats et sièges qui eurent lieu soit dans le Forez, soit dans les provinces voisines. Nous ne le suivrons pas dans cette partie de sa carrière, dont s’est occupé l’auteur d’un ouvrage déjà cité, M. Bernard, de Montbrison. Nous ferons seulement à cet ouvrage une objection portant sur une question qui se rattache à l’Astrée.

D’Urfé nous apprend que son roman lui a été inspiré à la fois par le souvenir des beaux lieux où il avait passé sa jeunesse et par le souvenir d’une première passion qui vivra à jamais dans son cœur, et dont la terre de son tombeau pourra seule, dit-il, étouffer la flamme. Après le grand succès du livre, et surtout après la mort de l’auteur, on éprouva le besoin de s’enquérir de l’objet et des circonstances de cette passion. L’avocat Patru, qui dans sa jeunesse avait rencontré d’Urfé à la cour de Turin, où celui-ci résidait alors, présenta le premier à ce sujet une explication romanesque qui fut généralement adoptée au XVIIe siècle. On disait que le père de d’Urfé, pour éteindre une longue inimitié qui existait entre sa famille et une autre puissante famille du Forez, celle de Chateaumorand, avait formé le projet de marier son fils aîné, Anne d’Urfé, à l’unique héritière de cette maison, lorsque Honoré devint amoureux de la jeune fille réservée à son frère. Pour le distraire de cet amour, son père l’aurait envoyé à Malte, et à son retour d’Urfé aurait trouvé Diane de Chateaumorand mariée à son frère aîné ; il aurait continué à l’aimer ardemment, mais en silence, jusqu’au jour où, le mariage de son frère ayant été annulé, il avait pu être récompensé de sa longue constance en épousant l’objet de sa passion. Patru prétendait retrouver dans l’Astrée, sous des formes déguisées, les principaux incidens de cette histoire, dont la partie authentique se bornait aux trois points suivans : 1° il était vrai que Diane de Chateaumorand avait épousé en 1574 ou en 1576 (la date exacte n’est pas certaine) le frère aîné de l’auteur de l’Astrée ; 2° il était vrai qu’en 1598 ce mariage de l’aîné des d’Urfé avait été annulé par une décision du pape, l’époux ayant consenti à se laisser déclarer, à tort ou à raison, incapable d’avoir lignée, et ayant embrassé l’état ecclésiastique ; 3° il était vrai enfin qu’un an ou deux après la dissolution de ce mariage, Honoré d’Urfé avait épousé sa belle-sœur. Si l’on pouvait affirmer avec la même certitude que cette union était la consécration d’un sentiment