Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/625

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mots engendrés insciemment ? Ceci mérite explication. Amadis de Grèce, étant déjà marié, devient amoureux de la reine Zahara. Un magicien complaisant et néanmoins vertueux, pour supprimer entre eux le péché d’adultère, les enchante tous deux et les transporte dans une sorte de paradis de Mahomet ou de jardin d’Armide, où ils donnent le jour à plusieurs enfans, et quelque temps après, dit La Noue, étant désenchantés, chacun s’en alla où il voulut, sans se ressouvenir de ce qui s’était passé. Ainsi s’explique le mot insciemment.

C’est dans Amadis de Gaule que la littérature romanesque s’enrichit d’un personnage nouveau, mais peu moral, qui deviendra le père d’une nombreuse lignée, celle des Faublas et des Lovelace. À côté de l’amant d’Oriane, amant passionné, sentimental, langoureux, très insuffisamment respectueux, mais scrupuleusement fidèle, figure au premier plan son frère Galaor, type de légèreté licencieuse et gaie, aimant indifféremment toutes les dames ou damoiselles qu’il rencontre sur son chemin, toujours prêt à les délivrer de leurs persécuteurs, mais ne les délivrant jamais gratis. Toutes, du reste, se montrent animées envers lui d’une reconnaissance sans bornes. Il y en a même une qui, après lui avoir prodigué les témoignages les plus vifs de sa gratitude, songe seulement à lui adresser cette question, par laquelle il semble qu’elle aurait dû commencer : « Hélas ! vous plairait-il me dire votre nom ? » Le contraste entre les deux caractères d’Amadis et de Galaor est quelquefois présenté d’une manière assez comique, mais toujours aux dépens de la morale. Les deux frères, par exemple, ont été attirés dans une embuscade et faits prisonniers par les hommes d’armes de la belle Madasime, dame de Gantasi. Cette belle dame est une personne à la fois très féroce et très légère. Un de ses chevaliers, qui s’intéresse à Amadis, vient lui dire en secret qu’il n’a qu’un moyen d’échapper à la mort qui lui est réservée, c’est de se montrer aussi galant que possible avec Madasime. Amadis répond d’abord, à l’instar de son père Périon, qu’il aime mieux mourir que d’être infidèle à Oriane. Cependant, comme il ne serait pas fâché de se tirer de ce mauvais pas, il ajoute : « Néanmoins, s’il vous plaît vous adresser à mon compagnon, qui est trop meilleur chevalier et plus beau que je ne suis, peut-être s’accordera-t-il à tout ce que vous voudrez. » Il va sans dire que ce compagnon, qui est Galaor, n’a pas les mêmes scrupules qu’Amadis, et ne se fait point du tout prier. Il se conduit si bien avec la dame de Gantasi, qu’elle rend la liberté aux deux prisonniers, non sans faire promettre à Galaor de revenir la voir volontairement.

Telle est la physionomie générale de l’ouvrage qui fut considéré