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tant qu’individu comme sujet d’observation et d’analyse, que le roman fait son apparition dans les lettres. C’est au IVe siècle, au temps de Théodose, que nous rencontrons pour la première fois un ouvrage principalement consacré à raconter la vie de deux êtres qui ne sont ni des demi-dieux ni des héros, mais des mortels inconnus, et à peindre les joies, les souffrances d’un amour exalté, délicat, traversé, constant ; c’est à un chrétien, à un évêque, que nous devons ce livre, très bien nommé par M. Villemain le premier type du roman d’amour. À la vérité, il est probable que, lorsque Héliodore composa les Amours de Théagène et de Chariclée, il n’était point encore évêque ; mais, comme le remarque l’illustre écrivain que nous venons de citer, on ne peut douter qu’il ne fût au moins initié dès lors aux croyances chrétiennes. Quoiqu’il y ait encore dans son ouvrage beaucoup de réminiscences mythologiques, les pensées, les sentimens, les formes même du style, tout y décèle l’influence d’un dogme nouveau et de mœurs nouvelles. À côté vient se placer la pastorale célèbre de Daphnis et Chloé, dont on ne connaît avec certitude ni la date ni l’auteur, que l’on attribue généralement à un écrivain grec nommé Longus, appartenant au IVe ou au Ve siècle de notre ère. Ici c’est le génie païen qui domine encore, mais le génie païen déjà altéré. L’idée seule de peindre l’innocence à un degré tel qu’elle ne connaît même pas la pudeur, de la peindre avec une foule de nuances d’une délicatesse souvent portée jusqu’au raffinement, qui se mêlent en les tempérant à des couleurs très licencieuses, cette idée s’écarte déjà des données du paganisme. De ces deux romans, le seul du reste qui ait engendré presque immédiatement des ouvrages analogues est le premier. Nous ne suivrons pas la trace du roman d’Héliodore dans les productions du même genre, mais fort inférieures, que présente la littérature grecque du Bas-Empire. Tous ces romans grecs n’ont été connus que fort tard dans l’Europe occidentale, et par conséquent n’ont point exercé sur la littérature romanesque de notre pays l’influence que Huet leur attribue très gratuitement.

La même révolution morale qui a fait naître le roman dans l’empire d’Orient du IVe au Ve siècle l’a fait naître en Occident vers le xi8 siècle, avec d’autres élémens, empruntés au caractère, à la vie des nations jeunes et vigoureuses qui s’élevaient sur les ruines du monde romain.

Personne n’ignore que l’on a d’abord en Europe donné le nom de romans à des compositions qui, quoique différentes au fond des épopées antiques, ont cependant plus de rapports de forme avec ces fictions épiques qu’avec les fictions romanesques de nos jours. À son début dans notre littérature, le roman, au lieu d’être un récit en