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de profession, aux érudits, aux étymologistes, qui se font, dit-il, un plaisir d’habiter dans les ténébreuses antiquités de notre langue, de deviner notre vieux jargon, et qui se croient assez payés de leur patience quand ils ont déterré quelques origines, ou qu’ils peuvent citer un mot heureux[1]. » Quant à ces divers romans qui ont fait les délices des trois ou quatre premières générations du XVIIe siècle, quoiqu’ils n’exigent point, pour être lus, la connaissance de ce vieux jargon dont s’épouvante La Harpe, quoiqu’ils soient les précurseurs et les pères de la Princesse de Clèves, le dédaigneux critique ne les mentionne que pour nous avertir qu’il n’a jamais pu les lire malgré la vogue prodigieuse dont ils ont joui. « Ce n’est pas, dit-il, faute de bonne volonté ; mais il m’est impossible de lire ce qui m’ennuie. »

Au système de La Harpe, qui avait ce mérite incontestable de simplifier beaucoup l’étude d’une littérature, des systèmes bien différens ont succédé. À mesure que dans les travaux historiques l’ancienne méthode faisait place à une méthode plus large, à une méthode qui ne s’attache plus seulement au côté en quelque sorte officiel des événemens, mais qui embrasse tous les aspects de la vie sociale, une transformation analogue s’opérait dans la manière d’étudier et de suivre les annales littéraires des peuples. Des maîtres éminens, en appliquant la méthode historique au mouvement des lettres et de l’esprit humain, nous ont accoutumés à tenir compte à la fois et du beau absolu et du beau relatif, et à faire ainsi sa part à toute production ayant concouru aux modifications successives qui se sont accomplies dans le langage, les idées, les sentimens et les goûts d’une nation. Ils nous ont appris également, tout en réservant notre admiration pour ce qui porte l’empreinte du génie, à chercher aussi dans l’étude des lettres ce plaisir instructif et varié qui naît de la comparaison des produits de l’imagination avec le mouvement des faits et l’ensemble des mœurs à chaque époque, de l’appréciation des affinités ou des dissidences que présentent tour à tour l’idéal et le réel agissant l’un sur l’autre, se modifiant l’un par l’autre. Cette tendance, à la fois historique et philosophique, des études littéraires, jadis presque complètement sacrifiée, est aujourd’hui fort en honneur, et représente certainement un des mérites les plus incontestables de la critique au XIXe siècle ; mais d’un autre côté on ne saurait contester que cette méthode n’ait ses exagérations et ses dangers. Si elle est appliquée sans mesure et sans choix avec un parti pris d’admiration quand même, elle tend à effacer la ligne de démarcation entre ce qui est beau et ce qui ne

  1. Cours de littérature, t. VII, p. 297, édition Agasse.