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autre chose, ils imiteraient le soleil et allumeraient sur la terre un feu tel que celui de cet astre. Vous connaissez donc ce que c’est que le bois ? dirent les habitans de la contrée aux Espagnols. — Non. — Vous connaissez donc le feu qui luit au soleil ? — Non. — Vous connaissez donc au moins comment le feu prend au bois ? — Non. — Et quand vous avez allumé le feu, sans doute vous savez l’éteindre ? — Oui. — Et avec quoi ? — Avec l’eau. — Et vous savez donc ce que c’est que l’eau ? — Non. — Et vous savez donc comment le feu est éteint par l’eau ? — Non. Les habitans de la contrée se mirent à rire et tournèrent le dos aux Espagnols, qui allumèrent du feu qu’ils ne connaissaient pas avec du bois qu’ils ne connaissaient pas, sans savoir comment se consumait le bois, et ensuite, avec l’eau qu’ils ne connaissaient pas, ils éteignirent le feu qu’ils ne connaissaient pas, sans savoir comment l’eau éteignait le feu. C’est Diderot qui raconte cette histoire, et l’application à l’agriculture en est facile. Longtemps on a semé et fait germer des graines sans savoir ce que c’est que la végétation, on a employé des fumiers en ignorant comment ils agissent, on a nourri des bestiaux avec du foin sans connaître l’équivalent du foin. Les bœufs engraissaient pourtant, et le blé poussait. Bien des agriculteurs s’enrichissaient sans savoir la chimie. La famine arrivait parfois ; mais les temps de disette sont-ils loin de nous ? On ne savait pas ce qu’on faisait ; qu’importe si tout allait aussi bien ou mieux qu’aujourd’hui ? Le feu chauffait-il moins quand on ignorait la composition du bois et les phénomènes chimiques de la combustion, et n’y a-t-il pas eu des novateurs ruinés pour s’être trop hardiment avancés sur la foi d’une idée théorique ?

Il ne manque pas en effet de gens qui soutiennent que l’instruction et la science sont sans doute de belles choses, mais faites pour les savans, tandis que la pratique est réservée à d’autres, apparemment aux ignorans. Les progrès les épouvantent ; comme on ne s’est pas plaint jusqu’ici, ils pensent que rien n’est à reprendre, et ils préfèrent les Géorgiques de Virgile aux traités d’économie rurale de M. de Lavergne et de M. Boussingault. Ils couvrent la routine du nom d’expérience, et l’opposent aux meilleures observations. D’autres, plus raisonnables, tentent de combattre les chimistes avec leurs propres armes. Vous croyez tout expliquer, dirent-ils, et des opérations agricoles d’une utilité incontestable sont encore mystérieuses pour vous ! Vous ignorez pourquoi une plante ne peut venir longtemps de suite sur le même terrain, pourquoi un animal ne peut supporter toute sa vie un aliment unique, quelque nourrissant qu’il soit. N’avez-vous pas sur l’action des engrais, sur la décomposition des nitrates, sur l’absorption de l’azote des opinions