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cette liaison sans issue, il n’a désormais qu’une idée, la renouer ! Et le voyage qui devait le rapprocher de Francfort va le ramener à Sesenheim.

Ce souvenir de la douce bien-aimée qui semblait sommeiller au fond de l’âme se réveilla à Neukirch un soir que Wolfgang, laissant à l’auberge son compagnon se reposer des fatigues du voyage, était allé s’asseoir au pied d’un château de chasse construit sur la hauteur. Du fond de cette solitude qui s’étend autour de lui, de ces bois et de ces montagnes où plongent ses regards attristés, un son de cor s’élève. À ce bruit sa rêverie s’exalte, une image adorable est évoquée : Frédérique ! Il ne veut plus qu’une chose : la revoir, et l’aube nouvelle va les trouver, lui et Weyland, son compagnon, chevauchant sur la route de Sesenheim. À Niedermodern, les deux amis se séparèrent. Laissons Goethe lui-même raconter ici les détails de son arrivée. « Si rapide que fût l’allure de mon cheval, la nuit me surprit ; il n’y avait du reste pas à se tromper de chemin, et la lune éclairait cette entreprise de ma passion. La nuit devenait orageuse et sinistre, et je sautais les haies et les fossés pour n’avoir point à attendre jusqu’au lendemain matin la joie de la retrouver. Il était déjà tard lorsque je descendis de cheval à Sesenheim. L’aubergiste, quand je lui demandai s’il y avait encore de la lumière au presbytère, m’assura que ces dames ne faisaient que de rentrer, et qu’il croyait avoir entendu dire qu’on attendait encore quelqu’un dans la soirée. Ceci ne m’allait pas du tout. Je me hâtai pour arriver du moins le premier. Je trouvai les deux sœurs assises sur la porte ; elles ne semblèrent point trop étonnées ; mais qui n’en revenait pas, ce fut moi quand j’entendis Frédérique dire à l’oreille d’Olivia[1], mais assez haut pour que je l’entendisse : « Eh bien ! ne vous l’avais-je pas dit ? C’est lui ! » On me conduisit dans la salle à manger, où je trouvai une petite collation déjà servie. » Frédérique, mue par un pressentiment, avait en effet prophétisé la veille que Goethe arriverait ; la sympathie avait poussé irrésistiblement ces deux âmes l’une vers l’autre, et au moment même où Wolfgang se sentait entraîné, la jeune fille annonçait son retour. Cette force magnétique, observait Goethe plus tard dans ses Conversations avec Eckermann, existe surtout entre deux êtres qui s’aiment, et très souvent elle agit aussi à distance. Bien des fois il m’est arrivé, étant jeune, que, me promenant à l’écart et seul, un vif désir me prit de me trouver avec celle que j’aimais ; j’y pensais alors avec intensité et jusqu’à ce qu’elle se montrât en personne. — Je ne sais quelle inquiétude m’a saisie, disait-elle

  1. C’est ainsi que Goethe, par allusion au Vicaire de Wakefield, appelle la sœur aînée, qui se nommait Marie Salome.