Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/550

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arbres et de mes chères fleurs, si Goethe ne m’assurait que de longtemps peut-être il ne pourra venir ici. »


« Nous avons vécu dans les délices comme des bergers de Gessner. Goethe anime tout, vivifie tout de son souffle divin, les choses les plus infimes comme les plus immenses, le vermisseau comme le soleil ! Chaque fois que j’élevais mes yeux vers les siens, une extase indicible me prenait : c’était à en mourir de joie ! »


III

Ces quelques pages, « témoins chéris de jours écoulés dans un doux rêve, » composent toute la correspondance de Frédérique publiée par M. Pfeiffer. Elles suffisent pour donner une idée de l’impression que Goethe à vingt ans, le Goethe de Strasbourg, produisit sur cette âme naïve et tendre. Quant aux sentimens que le poète éprouva, lui-même a pris soin de nous en faire part. Arrivé à cette période de sa vie, on dirait que les termes lui manquent pour peindre le bonheur qu’il y goûta, un de ces bonheurs immenses, infinis, qui transforment tout dans la nature, et qui donnent à la fleur du printemps, à l’étoile des nuits, au rossignol de mai, des haleines, des lueurs, des vibrations que jamais plus ne percevront vos sens. Goethe n’est ni rêveur, ni sentimental, ni enthousiaste, et cependant il y a de tout cela dans ce récit d’une heure fortunée ; il y a surtout du feu, le feu sacré de la jeunesse. Cinquante ans ont passé sur cette douce pastorale de Sesenheim, et il en parle comme si c’était d’hier, et pour décrire toutes les sensations, peindre les moindres fleurettes de ce beau mois de mai de son existence ; il retrouve l’entrain, l’aisance et la sympathie d’un cœur qui ne songe encore qu’à se laisser vivre et se dépenser librement. Quoi de plus aimable et de plus séduisant que cette figure qu’il nous trace lui-même de Frédérique ! « Je la vois encore avec sa jupe blanche et ronde, à simple garniture, découvrant jusqu’à la cheville les plus jolis petits pieds, son corsage blanc serré à la taille et son tablier de taffetas noir, tenant le milieu entre la villageoise et la demoiselle. Svelte et légère, elle allait comme n’ayant nul poids à supporter, et pour les opulentes tresses blondes de sa gentille tête, son cou semblait presque trop fin, trop délicat. Son œil serein et bleu promenait ses regards de tous côtés, et son joli nez fripon flairait le vent sans paraître se douter qu’il y eût souci ni chagrin en ce monde, et ce fut ainsi, son chapeau de paille à son bras, que, pour la première fois, il me fut donné de la voir et de la contempler dans toute sa grâce et tout son charme. » Et plus loin : « Rien ne lui seyait