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— Pouvez-vous, voulez-vous me suivre ? Serez-vous ma femme ?…

— Que je suis heureuse ! allait répondre Sarah, quand elle pâlit et se troubla tout à coup. Elle pensait à sa fille. Benjamin avait compris ce trouble : il devinait des craintes qu’expliquait trop bien l’éducation orientale de Sarah. — Je serai son père, dit-il.

Le même jour, à l’heure où les vieux parens sortaient du harem, Benjamin se présentait devant Mehemmedda pour lui annoncer son intention d’épouser la veuve d’Osman. Le vieux paysan crut d’abord avoir mal entendu ; mais Benjamin répéta nettement sa demande, et la mère de famille s’étant hâtée d’approuver le choix de son fils, le vieillard répondit enfin : — Eh bien ! puisque cela convient à ton excellence, cela me convient aussi, et je suis bien sûr que cela convient mieux encore à Sarah. Tu es née sous une heureuse étoile, ma fille, ajouta-t-il en se tournant vers Sarah. Seulement ne va pas te mettre en tête que Benjamin fera comme moi et qu’il ne te donnera pas de rivales. Tiens-toi toujours prête au contraire à faire bonne mine à la compagne ou aux compagnes qu’il te donnera sans doute, à partager avec elles tout ce que tu tiens de la générosité de ton mari. Et maintenant que Dieu vous couvre de ses bénédictions !

Le frère de Benjamin revint dans le courant de la journée avec les équipages du major. Son visage exprimait une affliction mêlée d’inquiétude. Benjamin le prit à part et reçut de lui d’assez tristes nouvelles. Le bruit s’était répandu de la mort d’Athanase, que des voyageurs avaient rencontré, disait-on, expirant au pied d’un arbre, et avaient ramené à sa mère. Personne ne connaissait la cause de ce déplorable événement. On soupçonnait certains créanciers d’Athanase ; quelques-uns étaient arrêtés, mais l’opinion publique blâmait ces mesures arbitraires, et l’innocence des inculpés était universellement proclamée.

Benjamin prit sur-le-champ son parti. Il pria son père de tout disposer pour que son mariage pût avoir lieu sous peu de jours, et il prétexta quelques affaires qui le forçaient à se rendre sur-le-champ à Angora, où il comptait passer vingt-quatre heures. Il fut plus explicite avec Sarah, et il se mit en route, accompagné seulement de celui de ses frères qui, déjà formé au rôle de confident, se croyait devenu tout à coup indispensable à son excellence. Benjamin alla directement chez le caïmacan, qui lui accorda une audience particulière. Seul avec le gouverneur, le bey lui raconta la tentative de séduction dont il avait cru devoir punir l’auteur. Le caïmacan se caressa la barbe et la moustache, toussa plusieurs fois, et finit par remarquer que le meilleur parti à prendre était le silence. — Puisque le mal est fait, dit-il, à quoi bon en parler ? Cela ne ressuscitera pas le mort. D’ailleurs le mort était très coupable. Séduire une