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ment improvisé par les serviteurs du major. L’un d’eux attendait son maître, une robe de chambre déployée à la main ; un second lui présentait des pantoufles en maroquin jaune, un troisième allumait une pipe à son intention, et les autres versaient le café dans une tasse, brossaient le tapis à mesure qu’un pied chaussé se posait dessus, ou vaquaient à quelque autre détail du service turc, tandis que les palefreniers étaient occupés et même affairés autour du cheval du koulassy.

Benjamin subit patiemment toutes les cérémonies exigées par l’étiquette orientale ; il échangea son habit contre sa robe de chambre, ses bottes contre ses pantoufles, s’assit sur le divan, but du café et fuma sa pipe, puis, en homme bien élevé qu’il était, il engagea le khandj à faire comme lui, c’est-à-dire à s’asseoir, boire et fumer. Ni Benjamin ni le khandj n’avaient encore prononcé un mot, les règles de la politesse turque s’opposant à ce qu’on se hâte d’entamer la conversation, lorsque la voix du muezzin annonça que l’heure de la quatrième prière du jour était venue. Un tapis de Smyrne, dont le dessin irrégulier se terminait en pointe à l’une des extrémités, était étalé dans un coin de l’appartement et disposé de façon que cette pointe fût tournée vers l’orient. Un des domestiques de Benjamin s’approcha de son maître, tenant une aiguière d’une main, une cuvette de l’autre et une serviette sur le bras. Benjamin se lava dévotement les mains et la barbe, après quoi il se prosterna dix ou douze fois sur le tapis, la tête tournée du côté de la pointe, les bras tantôt croisés sur la poitrine, tantôt pendans le long des cuisses. Les prières terminées, il se replaça sur le divan, reprit sa pipe et commença la conversation avec le khandj.

Benjamin s’était aperçu que son hôte ne le connaissait pas, et, jugeant l’incognito favorable à ses projets, il s’informa, comme l’eût fait un étranger, du caïmacan régnant, de l’époque de son arrivée, du pays d’où il venait, etc. Du caïmacan, il passa au cadi, à tous les conseillers, au muphti ; puis il s’enquit de la population grecque et arménienne, des banquiers, des négocians les plus riches. Une fois sur ce terrain, Benjamin demanda le nom et l’adresse du banquier correspondant avec Constantinople, et par l’intermédiaire duquel il lui serait possible de faire venir son argent.

— Je ne saurais trop vous dire, excellence, répondit le khandj, car depuis la dissolution de la fameuse compagnie de Natolie (il y avait de fameux brigands dans cette compagnie, excellence), je ne sache pas qu’il y ait de correspondance régulière entre cette ville et la capitale pour le transfert de l’argent, si ce n’est au moyen du tatar. Il y a bien plusieurs négocians qui font des affaires avec Constantinople, mais il n’y a dans leurs relations avec cette ville rien