Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/522

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

là, une toux accompagnée d’oppression se déclara. Enfin, quand Benjamin se vit installé avec son régiment dans la capitale de l’empire, il était perclus de tous ses membres, menacé de pulmonie, atteint d’une maladie de foie, et souffrait d’un ébranlement au cerveau, le tout ayant éclaté le lendemain du danger.

Les Turcs, grands et petits, ne sont ni ingrats ni insensibles. La maladie de Benjamin ne lui fit perdre aucun des avantages que son mérite lui avait valus. Il fut nommé koulassy (major), et reçut un congé de trois mois pour aller rétablir sa santé dans son pays natal. En Europe, une promotion n’a souvent d’autre résultat qu’un changement dans l’uniforme et dans le traitement. En Orient, la promotion de capitaine à major transforme l’homme presque en entier. Un capitaine turc est un pauvre diable marchant à pied, jouissant des misérables appointemens de cent vingt ou cent trente piastres par mois (vingt-cinq francs à peu près), partageant le logis et la gamelle du soldat, s’il ne préfère coucher à la belle étoile et vivre de pain sec. Un major est un tout autre homme. Il a touché le premier échelon de cette prodigieuse échelle en diamans des fonctions publiques de l’Orient, dont chaque degré est couvert d’or, de palais, de jardins, de houris terrestres, etc. Jadis, au sommet de cette prestigieuse échelle, on trouvait presque toujours le cordon ; mais aujourd’hui la plus éclatante disgrâce se résume dans un exil qui laisse au disgracié la libre disposition de ses trésors et la faculté même d’en acquérir de nouveaux. Tel est l’heureux résultat de l’adoucissement des mœurs.

Mais où donc m’égaré-je ? Benjamin n’est disgracié ni d’après l’ancienne, ni d’après la nouvelle méthode ; tout au contraire il fait aujourd’hui le premier pas dans la voie des honneurs, et je n’ai qu’à expliquer brièvement ce qu’il faut entendre par cette première station. Un major turc est un officier supérieur ; il peut ajouter à son nom le titre de bey. Il est censé posséder quatre chevaux, puisqu’il reçoit de l’état des rations calculées en conséquence. Il a une suite, c’est-à-dire un ou deux palefreniers qui l’accompagnent à pied, lorsque lui, le major, chevauche à travers les rues de Stamboul ou de Pera. Il a un tchiboukdj (allumeur de pipe) qui le suit de même, son long tuyau en bois de jasmin posé sur l’épaule, comme un fusil sur celle du soldat. Il a un kaïvédj (verseur de café) et quelques autres domestiques, dont la presque unique occupation est d’escorter le maître dans ses courses et de passer le reste du temps à dormir, manger, boire et fumer. Voilà ce qu’est un major en Turquie, et voilà ce qu’était devenu le fils de Mehemmedda, le paysan natolien : un grand personnage, comme vous voyez, jouissant de tous les privilèges du rang et de la fortune, y compris la fa-