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fois de l’enivrer avec des liqueurs fortes pour jouir du spectacle d’un musulman ivre ; mais ils échouèrent. Rien n’avait d’attrait pour Benjamin que la recherche de notions nouvelles. Tout son passé était concentré pour lui dans un seul souvenir, et ce souvenir était celui de Sarah.

Le jeune soldat écoutait avidement les récits d’aventures, d’intrigues et d’amours que ses camarades échangeaient journellement autour de lui, et le jeune volontaire en vint sans peine à comprendre que la sorcellerie dont il s’était cru l’innocente victime n’avait rien de diabolique. Cette découverte le transporta de joie ; il n’avait donc nul besoin de fuir l’enchanteresse ; le mariage était un remède bien plus facile et plus doux, et son bonheur ne dépendait que de lui. Telle fut d’abord sa pensée ; mais plus tard, et en fréquentant une société plus éclairée que celle des drogmans et des sous-officiers de son corps, il découvrit que les mots amour et bonheur n’avaient pas pour toutes les âmes la même signification. Il comprit que l’amour n’obéissait pas au commandement, qu’il existait un bonheur dont il n’avait jamais eu l’idée, qu’aucun trésor ne pouvait acheter, et qui consistait à être aimé non moins qu’à aimer. À peine eut-il compris ce bonheur nouveau, qu’il lui parut mériter seul ce nom si beau, et qu’il éprouva un désir ardent de le goûter. Les récits d’événemens où une femme jouait le principal rôle, les éloges donnés devant lui au caractère et aux vertus d’une femme le plongeaient dans une sorte d’extase. Il était de ceux qui ont besoin d’aimer au-dessus d’eux-mêmes, et le choix que son cœur avait fait involontairement de celle qu’il s’était accoutumé à regarder comme sa belle-mère témoignait assez de cette disposition de son cœur. Lorsque enfin le premier rayon de lumière eut pénétré dans son âme, lorsqu’il comprit qu’il aimait et que l’objet aimé était une femme raisonnable et sensible, il s’abandonna à des transports de joie qui étonnèrent singulièrement ses camarades. Il voyait clair devant lui, dans son avenir ; toutes ses agitations s’évanouissaient à tout jamais : il épouserait sa belle-sœur, il la conduirait là où son mérite serait apprécié ; il lui rendrait les leçons qu’il en avait reçues dans son enfance ; il s’instruirait pour l’instruire, et il la formerait à l’image de ces héroïnes célèbres dont ses rêves étaient remplis. Mais l’aimerait-elle ? Lorsqu’il se posa pour la première fois cette question, Benjamin fut saisi d’un tremblement nerveux si violent, qu’il dut s’asseoir pour ne pas tomber. Pourquoi ne l’aimerait-elle pas ? Benjamin cependant voulait être aimé de cet amour nouveau qu’il avait longtemps éprouvé sans le comprendre, et qu’il chérissait comme un trésor depuis qu’il le comprenait. Cet amour-là, serait-il assez heureux pour l’inspirer à Sarah ?