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inexécutables. Comment enlever Sarah sans avoir toute la province à sa poursuite ? comment la cacher à Constantinople, ne fût-ce que le temps nécessaire pour se préparer à un plus long voyage ? Où trouver les premiers fonds indispensables à l’exploitation d’un plan industriel ? Tout ce qui semblait s’opposer à l’exécution de son projet ne faisait, à vrai dire, que le rendre d’autant plus cher à Athanase, dont le naturel tendait plutôt à la spéculation qu’à l’action. Heureusement pour Sarah, ce fut à cette dernière combinaison qu’il s’attacha, en rejetant la première, dont la réussite eût amené la perte irréparable de la pauvre enfant, avec la ruine de la prospérité si laborieusement acquise par Mehemmedda et sa famille.

X.

Que devenait pourtant Benjamin ? La trahison d’Athanase lui avait été bientôt révélée, et il s’était vu subitement dépouillé de son argent, privé de sa liberté et forcément séparé de tous ceux qu’il aimait. C’était une forte et grande leçon que recevait Benjamin. Le monde lui apparaissait tout à coup sous un aspect complètement nouveau. Il avait parcouru en quinze jours cent fois plus de pays qu’il n’en avait vu dans tout le cours de sa vie antérieure. Il entendait résonner autour de lui des langages inconnus ; il voyait les types nouveaux de races étrangères ; il s’initiait à des usages et à des croyances dont il n’avait jamais conçu la moindre idée ; il se sentait comme transporté dans des sphères mystérieuses et enchantées. Un doute immense, universel, s’empara bientôt de lui : il étouffa tous ses autres sentimens, sans en excepter les regrets et l’indignation. Rêvait-il ou veillait-il ? avait-il réellement passé les dix-sept années de sa vie sans sortir de l’étroite vallée qui occupait si peu de place sur la terre ? Le monde n’était-il pas exclusivement peuplé de musulmans ? Y avait-il en dehors de l’empire ottoman de grands pays et de grandes nations, de belles et de bonnes choses, du bonheur et de la vertu ? En même temps que ce doute infini, une soif inextinguible d’apprendre et de connaître s’éveilla en lui ; il oublia qu’il avait espéré se trouver un beau matin général en chef ou même grand-vizir, et qu’il n’était qu’un simple soldat, exposé à la bastonnade et fort peu certain de parvenir seulement au grade de sergent. Que lui importait ? Il venait d’entrevoir des mondes nouveaux et merveilleux ; il voulait en mesurer l’étendue, en sonder les profondeurs, en admirer les magnificences. Dès-lors on ne le vit plus que dans la société des officiers francs. Il questionnait chacun et toujours, s’évertuant à apprendre les langues étrangères. Ses nouveaux camarades, s’amusant de son ardente curiosité, essayèrent plus d’une