Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a de plus libéral et de plus ouvert. Le matin, Baruch est dans la synagogue ; le soir, il médite avec Olympia et Oldenbourg sur la nature des choses et les lois de la morale. Le matin, il explique avec ses collègues, et sous leur surveillance jalouse, les insipides commentaires de la Bible composés par les docteurs talmudistes ; le soir, il ouvre avec ses amis le grand livre de la nature et de l’âme. Le panthéisme, Dieu merci, n’est pas encore nettement et scolastiquement formulé dans la pensée du jeune philosophe ; l’auteur a évité avec adresse ce qui pourrait offusquer la douce lumière de son tableau : il s’agit seulement pour lui de peindre les joies innocentes et sublimes de la libre pensée qui s’éveille. Ces joies furent vives en effet dans l’intelligence de Baruch Spinoza, et comment s’étonner que son amitié pour Olympia van den Ende ait bientôt fait place à des émotions plus ardentes ? Le luthérien Coler, dans sa naïve biographie de Spinoza, tirée des écrits de ce fameux philosophe et du témoignage de plusieurs personnes dignes de foi, qui l’ont connu particulièrement, raconte que le futur auteur de l’Éthique est devenu amoureux d’Olympia. L’histoire de cet amour appartenait au romancier ; M. Auerbach a traité délicatement ce difficile sujet. L’amour de Baruch pour la fille de van den Ende, dans le récit du conteur, est bien celui qui devait convenir à une telle âme : à la fois ardent et discret, il est empreint d’une innocente gaucherie que le peintre a rendue avec finesse.

Mais est-ce bien là un roman ? Où est le plan du récit ? où est le lien des épisodes ? Je vois une série de scènes détachées, une galerie de tableaux hollandais composés avec un rare sentiment des détails : je cherche en vain une action. On dirait que l’auteur ne sait pas lui-même où il veut nous conduire ; entraîné par son sujet, il en étudie une à une les différentes parties, qui lui dérobent la vue de l’ensemble. Tant que ces détails sont pleins de vie, tant que ces scènes sont dramatiques et exécutées d’une main sûre, on peut bien ne pas songer à ce défaut capital de l’ouvrage ; malheur au romancier si son pinceau faiblit ! Il n’y a pas là d’action pour le soutenir.

Voici un des épisodes qui font oublier cette absence de composition ; c’est même, si je ne me trompe, la plus importante péripétie du drame, celle qui devait ranimer l’intérêt et précipiter le dénoûment : je veux dire la rupture du jeune rabbin avec la synagogue d’Amsterdam. Spinoza nourrissait en secret bien des doutes quand il expliquait le Talmud avec ses collègues ; il protestait tout bas, il n’eût osé parler… Maintenant ses conversations avec Olympia et Oldenbourg lui ont pour ainsi dire délié la langue. Quand il sort du cénacle philosophique, il respire, il est fier et joyeux ; vous diriez un