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tans fondée sur la tradition du prophète. Le jamadar Musa-Khan, — tel était son nom, comme je l’appris plus tard, — me rendit mon salut avec courtoisie et m’invita à m’asseoir et à fumer avec lui, invitation que j’acceptai avec grand plaisir. Lutfullah ouvrit son cœur, et fut ravi d’apprendre que le jamadar partait le lendemain avec sa troupe-pour le Dekkan. Musa-Khan lui proposa de s’enrôler, ou plutôt d’entrer à son service pour tenir les comptes de sa bande. Lutfullah accepta avec empressement. Le lendemain, au point du jour, il sortit secrètement de la demeure maternelle et alla rejoindre ses nouveaux compagnons. La troupe était déjà sur pied ; ils s’apprêtèrent en quelques minutes, et tous répétèrent la prière suivante, qui est récitée par tous les voyageurs et les guerriers musulmans au moment de partir pour une expédition : Dieu t’accorde son assistance et une prompte victoire, et te permette de porter de bonnes nouvelles aux vrais croyans ! Dieu est le meilleur gardien, et il est le plus clément de ceux qui se montrent clémens. »

Les jours se passent, et l’expédition marche à travers les montagnes, les précipices, les défilés les plus dangereux. Enfin un soir on aperçoit une vallée profondément cachée entre un rempart de montagnes chevelues et de rochers pleins de broussailles, couverte d’arbres et parsemée de huttes, une sorte de caverne naturelle qu’auraient enviée Ali-Baba et ses quarante voleurs. « Grâce à Dieu, nous sommes arrivés au lieu de notre destination, dit Musa-Khan. » Lutfullah était tombé dans une bande de brigands : les vingt-cinq Afghans de Músá-Khán n’étaient que vingt-cinq mercenaires aux gages d’un chef de voleurs bheels nommé Nadir. On s’approche de la vallée, et la bande se trouve bientôt entourée d’une troupe soupçonneuse et féroce. Qui êtes-vous, dit l’un de ces hommes, vous qui venez vous jeter dans les mains de la mort ? — Ne me reconnais-tu pas, Kaliya ? cria Músá ? Le Bheel reconnut la voix du jamadar et s’avança vers nous en criant aux autres : C’est notre Músá, et non pas un ennemi. Cette reconnaissance opérée, Músá va présenter ses hommes au chef Nadir, espèce de roi à la fois burlesque et féroce, qu’ils trouvent assis à l’entrée d’une caverne, sur une estrade en bois, enlacée de plantes grimpantes, nu comme ses sujets, les bras chargés de bracelets d’or. « Músá-Khán, le regardant, le salua et dit : Voici Nadir-Bhai, le bon prince du désert ; présentez-lui vos respects. Le pauvre Lutfullah se trouvait dans la situation de Gil Blas lorsqu’il est tombé par étourderie dans la bande du capitaine Rolando. Il resta dans cette vallée maudite quatre longs mois, maudissant son imprudence et cherchant un moyen de s’évader sans pouvoir le trouver, lorsqu’un événement terrible et tout à fait à l’orientale vint lui fournir l’occasion